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manifestations publiques, toutes nationales, qui ont d’autant plus de signification et de force qu’elles sont l’expression spontanée d’une libre et virile cordialité, d’une traditionnelle alliance de sentimens et d’intérêts entre deux peuples. Les États-Unis sont tout entiers en ce moment à une de ces manifestations. Ils sortaient à peine de cette crise plus pénible que dangereuse qui s’est prolongée pendant la cruelle agonie du dernier président et qui s’est terminée par la mort de M. Garfield, par l’avènement à la présidence d’un nouveau chef, M. Arthur. Ils sont maintenant dans les fêtes populaires ; ils célèbrent depuis quelques jours le centième anniversaire de cette capitulation de Yorktown, qui après cinq ans de guerre décidait au mois d’octobre 1781 la victoire de l’indépendance, où Américains et Français marchaient ensemble conduits par Washington, Lafayette et Rochambeau. C’est, à vrai dire, le centenaire de la naissance d’un grand peuple. Le premier congrès réuni en 1783 avait décidé qu’un monument serait élevé à Yorktown pour consacrer le souvenir de la victoire et de l’alliance française. Ce décret est resté longtemps inexécuté. Ce n’est qu’il y a deux ans que le congrès a voté une somme de 100,000 dollars pour le monument commémoratif de Yorktown, et on a naturellement attendu, pour poser la première pierre du monument, l’anniversaire de la capitulation de Cornwallis devant l’Amérique naissante. Le gouvernement de Washington, fidèle à la pensée du congrès de 1783, a tenu à avoir une représentation officielle de la république française, Le sénat, à son tour, a tenu à ne point oublier la famille de Lafayette et « l’association pour le centenaire de Yorktown, » a voulu étendre l’invitation aux descendans des officiers de notre pays qui ont combattu autrefois pour l’Amérique. Délégués officiels de la France et invités se sont rendus effectivement à ces fêtes du centenaire, ou le gouvernement américain d’ailleurs a eu soin d’éviter tout ce qui aurait pu blesser l’Angleterre et même d’autres nationalités. On a poussé la précaution jusqu’à inviter aussi les descendant d’un officier allemand qui avait pris part à la guerre de l’indépendance. En réalité, par la nature des choses, c’est évidemment la France qui a la première place dans la solennité américaine, et ces fêtes, ces réceptions empressées ne font que raviver les souvenirs d’un des plus brillans épisodes de l’ancienne monarchie, d’un temps ou la France préludait à sa propre révolution en s’enthousiasmant pour Franklin et pour Washington, en prenant les armes pour l’indépendance d’un peuple.

C’est en effet cette vieille France généreuse et brillante qui a été la première alliée de la jeune Amérique républicaine ; c’est elle qui la première, bravant une guerre avec l’Angleterre, reconnaissait l’insurrection, lui envoyait ses sympathies, ses subsides, ses flottes, son armée, et toute cette jeune noblesse enivrée d’ardeur guerrière ou libérale. Lafayette avait à peine vingt ans lorsqu’il partait avant tous,