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cation, » ou une « démonstration, » peu importe le mot. C’est un point d’appui que M. Gambetta a voulu se donner avant de se décider à aborder le pouvoir vers lequel il s’achemine par une série de mouvemens stratégiques assez curieux. Malheureusement un vote de confiance de plus, surtout un vote muet, ne change guère les choses, et il n’éclaircit rien jusqu’ici. Il ne dit pas dans quelles conditions M. Gambetta entend prendre ce pouvoir que la force des circonstances lui offre au début d’une législature nouvelle, ce qu’il veut faire de cette majorité à laquelle il demande d’avance des gages, quelle politique il se propose de suivre ou d’imposer. Cette prétendue « démonstration, » organisée comme un préliminaire de la campagne qui s’ouvre, elle n’a peut-être d’autre résultat que de rendre plus sensible ce qu’il y a d’extraordinaire dans cette position d’un homme sans lequel tout est devenu évidemment impossible aujourd’hui, et qui semble éprouver lui-même le besoin de s’entourer de toute sorte de garanties, de s’assurer des conditions exceptionnelles de pouvoir, comme s’il était en dehors ou au-dessus des règles parlementaires faites pour tout le monde. C’est, si l’on veut, la moralité de ce début de session.

Que M. Gambetta soit un président du conseil désigné par le premier acte de la chambre comme il l’était déjà par tout un ensemble de circonstances, c’est un point acquis assurément ; cela est si vrai que, pour le moment du moins, en dehors de M. le président provisoire ou définitif de la chambre, on ne conçoit même pas un ministère ayant une apparence de vie et de force. Ce qui n’est pas moins clair, c’est que M. Gambetta, à mesure qu’il s’approche du pouvoir, semble redoubler d’inquiétude et de précautions. Son attitude même, sa stratégie révèlent les indécisions d’une homme qui se voit poussé vers le ministère et qui, jusqu’à la dernière heure, ne serait peut-être pas fâché d’avoir quelque raison de s’abstenir encore, qui, dans tous les cas, s’il ne peut plus reculer, cherche à réunir sous sa main tous les moyens de succès. Il comprend visiblement qu’il va jouer une grosse partie, une partie périlleuse pour lui-même et pour la cause qu’il prétend servir. Il voudrait mettre tous les avantages dans son jeu. Il cherché les adhésions, il a besoin de manifestations d’une nature particulière. Il lui faut ce qui ne s’est jamais vu, une majorité compacte, disciplinée, fidèle, résolue d’avance à le suivre en tout et partout. Il lui faut un blanc-seing de la chambre pour se décider, un blanc-seing de M. le président de la république pour choisir les collègues qu’il associera à sa fortune ministérielle ! La vérité est qu’il craint d’échouer dans cette épreuve à laquelle il ne peut plus guère se dérober. Il a l’instinct des difficultés qui l’attendent et il ne s’aperçoit pas que ces difficultés, qui sont effectivement réelles et nombreuses, tiennent surtout à cette position irrégulière qu’il s’est faite aussi bien qu’à la politique de