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Les exemples abondent à l’appui de nos doctrines, même dans ces mois de demi-saison qui sont encore pour les théâtres une quasi morte saison. Le Gymnase vient de reprendre les Premières Armes de Richelieu. Pesez-moi, s’il vous plaît, ce qui reste de ce vaudeville : rien ou presque rien. Les gens maussades qui se souviennent d’avoir été gais, ou simplement les gens un peu plus âgés que nous à qui ce léger ouvrage avait plu dans sa nouveauté, accusent Mlle Granier de tout le mal, parce qu’elle ne leur a pas rendu le plaisir que Déjazet leur faisait éprouver. Cette sévérité, à mon avis, est injuste. Mlle Granier, dit-on, n’entend rien au caractère de Richelieu. Mais le caractère du Richelieu de MM. Bayard et Dumanoir n’est nullement le caractère du Richelieu de l’histoire, ni même, si j’ose dire, aucun caractère. Il n’existe pas, en bonne psychologie, cet aimable polisson que les auteurs nous donnent pour le futur bourreau de Mme Michelin. S’il est né quelque part, c’est entre les frontières de cette région que M. Meilhac appelait un jour la Scribie ; et justement, s’il ressemble à quelqu’un par un air de famille, c’est bien moins à « la petite poupée » de Mme la duchesse de Bourgogne qu’au Petit Duc de MM. Meilhac et Halévy. Celui-là du moins était un petit duc anonyme, qui ne compromettait par son peu de consistance aucune mémoire historique et ne cherchait pas à s’en faire accroire sur la foi d’un blason. Pour quiconque n’estime que la réalité morale, je doute que Déjazet, avec toute sa finesse, donnât plus de prix au Richelieu des Premières Armes, ce Chérubin de pacotille que ne fait Mlle Granier avec sa bonne humeur. Même, si je me figure Déjazet d’après les rapports de ses admirateurs, j’avancerai que Mlle Granier se rapproche plus qu’elle du personnage esquissé ici par l’auteur du Gamin de Paris ; partant, je la tiendrai quitte de toute chicane et l’applaudirai librement pour sa grâce, pour son esprit, pour sa gentillesse, comme j’applaudis pour sa drôlerie et pour sa verve Mlle Marie Magnier dans le rôle d’une grande dame telle que Louis XIV n’en vit certainement aucune. De ce débat, je ne retiens qu’une chose, c’est que, si Beaumarchais eût écrit les Premières Armes de Richelieu, la pièce aurait quelque cent ans et serait plus jeune que celle-ci, qui en a quarante. Beaumarchais n’eût pas mieux machiné que MM. Bayard et Dumanoir la scène où Richelieu montre, d’une part, au chevalier de Matignon la baronne de Bellechasse, d’autre part, au baron la fiancée du chevalier, enfermées chez lui, chacune dans un boudoir. Qu’est-ce donc que la pièce de Beaumarchais aurait eu de plus que celle qui nous occupe ? Oh ! mon Dieu ! presque rien : l’observation et le style, c’est-à-dire la vie et l’expression de la vie : je ne connais pas au théâtre d’autre chances de durée.

Savez-vous une intrigue plus naïve, un sujet plus simple et moins fourni d’événemens que celui de l’École des maris d’un certain Molière ?