Nous n’en savons rien au juste, sinon qu’il aura sans doute les vertus contraires aux vices de l’ancien. En attendant qu’un écrivain paraisse qui lui communique ces vertus, — c’est-à-dire qui possède son art, mais surtout pour en dédaigner l’artifice, — qui sache animer des hommes, — et aussi les faire parler, — il est naturel que les fournisseurs ordinaires des théâtres essaient de donner le change au public sur sa propre indifférence par des moyens moins rares, et de nous faire, s’il est possible, prendre patience à moins de frais. Puisqu’on se désintéresse de ce drame qui se pouvait appeler une tragédie bourgeoise, comme on s’était dégoûté jadis de la tragédie aristocratique, il est naturel que les auteurs descendent à la tragédie populaire, c’est-à-dire à cette sorte de drame où ne figurent que des plébéiens. La vogue récente de certaine pièce adaptée d’un roman fameux est faite pour les y animer, et c’est un exemplaire de ce genre que j’espérais voir, quand le mois dernier l’un des théâtres où s’abrite l’agonie du drame a fait paraître sur son affiche Malheur aux pauvres ! de M. Alexis Bouvier.
Les lecteurs de la Revue ignorent l’œuvre et peut-être jusqu’au nom de ce romancier, l’un de ceux qui disposent aujourd’hui le plus souverainement du tirage quotidien des journaux à un sou. Je ne saurais dire à combien d’âmes, pour cette faible somme, M. Bouvier dispense chaque matin leurs émotions de la journée. Il a cet avantage sur la plupart de ses confrères, tristement aplatis dans le bas rez-de-chaussée des petites gazettes, qu’il connaît au moins les mœurs d’une certaine classe de ses personnages, de la plus humble justement, à laquelle appartiennent la plupart de ses lecteurs, et qu’il dépeint ces mœurs, en quelques passages de ses feuilletons, avec une brutalité qui ne laisse pas d’être sincère. Donc malgré ce titre, Malheur aux pauvres ! qui sonne comme un signal ironique de revanche et d’émeute et pourrait s’inscrire sur le drapeau noir levé pour la guerre sociale, il était permis d’attendre de M. Alexis Bouvier une vigoureuse étude de mœurs populaires ; — et si quelque délicat murmure qu’il eût fait bon marché de cette attente, je le préviens que j’ai pour le condamner l’autorité de M. Guizot.
M. Guizot ! on ne s’attendait guère à voir M. Guizot dans cette affaire. Il est avéré que son faible n’était pas pour la canaille, ni même pour le canaille en fait de littérature ou d’art. Même M. Zola, que je sache, n’a jamais prétendu que la nature eût suscité M. Guizot un demi-siècle avant son ère pour l’annoncer aux nations. Pourtant c’est le chef des censitaires qui va m’excuser ici de témoigner tant d’intérêt pour un genre suspect aux honnêtes gens ; — et si quelqu’un s’étonne de découvrir chez ce politique une telle équité de goût, une si parfaite abnégation sur ce qui touche aux belles-lettres, je le prierai