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UN
VOYAGE MALHEUREUX
DANS LES OASIS DE LA TRIPLOLITAINE

Il n’y a dans ce monde qu’heur et malheur ; cela est vrai en Europe plus vrai encore en Afrique. L’accident gouverne en souverain brutal et jaloux les vastes contrées que se partagent l’Arabe, le Berbère et le noir. Il y dispose de toutes les destinées, grandes ou petites, et personne ne peut se soustraire à ses féroces fantaisies. Tous les voyageurs qui ont tenté d’explorer quelque province inconnue d’un continent, où l’inconnu est plus redoutable qu’ailleurs, ont dû compter avec ces hasards incalculables qui déconcertent les précautions les plus sagement combinées, les mesures les mieux prises, les plans les mieux conçus et les mieux ourdis. Si le bonheur, comme le disait Mazarin, est la première qualité de l’homme d’état, quiconque voyage en Afrique est tenu aussi de posséder ce genre de mérite, et le premier de ses devoirs est d’être heureux. Combien de martyrs de la science ou de la curiosité ont déjà arrosé de leur sang les plateaux où prospère l’alfa, les mystérieux pays d’où nous viennent l’ivoire et les plumes d’autruche, les solitudes sablonneuses où le Touareg ne connaît d’autre maître que le simoun ! Ceux qui réussissent à en revenir sans avoir fait ce qu’ils voulaient faire, sans avoir vu ce qu’ils voulaient voir, ne sont pas trop à plaindre. Ils en sont quittes pour publier le récit de leurs mésaventures, qui est toujours intéressant et toujours instructif.