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repassant ainsi par une série de tentatives que d’autres avaient inutilement essayées et qu’il finit par mener à bien. Il s’appliqua à façonner des fils de charbon avec des fibres végétales qu’il fit chercher dans toutes les contrées du monde ; il s’arrêta aux parties extérieures du bambou de Chine ; il en détacha des filamens allongés dont le diamètre n’atteint pas un millimètre, il les carbonisa par un procédé dont il garde le secret, ce qui est son droit, et les ayant recourbés, en fer à cheval, il les enferma dans des ampoules de verre dont l’air est ensuite extrait par des machines pneumatiques perfectionnées. Ces fils de charbon, si fins, si réguliers, sont une véritable merveille de soins, de délicatesse, de solidité et de bon marché. Traversés par le courant électrique, ils s’illuminent et peuvent durer plus de cinq cents heures. A la longue, ils finissent par se rompre ; on jette alors l’instrument pour le remplacer par un autre. Comme il coûte moins de 2 francs, cette substitution n’est point onéreuse. Tel est l’appareil qui, avec ceux de Swan et de Maxim, a été placé dans les lustres du foyer.

Tout a été disposé pour comparer l’ancien éclairage au nouveau. On a conservé le gaz dans quelques-uns des lustres, on l’a remplacé par l’électricité dans d’autres ; sur l’un d’eux enfin on a superposé les deux sortes de lampes, et voici quel a été le résultat : la lumière par incandescence est absolument fixe, tout à fait silencieuse. Étant enfermée dans une ampoule, elle ne dégage ni fumée ni gaz délétères, ni rien qui puisse altérer les peintures ou les étoffes ; elle développe moins de chaleur que le gaz, on peut la diminuer ou l’exagérer à volonté par les variations du courant. Mais, à côté de ces avantages dont on ne peut pas méconnaître la valeur, elle est jaune, elle n’a ni plus ni moins d’intensité qu’un bec de gaz, elle en a la couleur orangée ; l’effet général n’est point changé, le foyer n’est pas devenu plus lumineux, les peintures de Baudry n’en sont pas plus visibles ; on n’a rien perdu, mais on n’a rien gagné, si ce n’est une diminution de chaleur et l’inaltérabilité assurée pour l’avenir aux peintures. Il faut avouer que c’est beaucoup, mais on doit reconnaître que ce n’est pas assez. La question n’est point de faire autant, le progrès exige qu’on fasse davantage, et qu’on jette dans cette belle architecture les profusions de lumière que nous avons rencontrées dans la salle et dans l’escalier ; c’est alors seulement qu’il sera possible d’admirer de nouveau les belles peintures qu’un emploi inconsidéré du gaz a recouvertes d’une couche de charbon et a rendues invisibles, s’il ne les a détruites à jamais. La place de la lumière par incandescence n’est point là ; elle est sur la scène, dans les herses, où elle supprimerait, à tout jamais les dangers d’incendie.