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la faire entrer dans chaque loge, où elle s’éteint dans les tentures foncées qui sont les fonds du tableau, mais où elle s’arrête tout d’abord sur les élégances mondaines qu’elle est chargée de faire valoir et qui apportent à l’Opéra autant d’attraits que les séductions du spectacle. Or c’est là justement ce qu’on a réussi à faire par l’addition des lumières électriques, à peu de frais, sans modification de l’édifice, sans aucune suppression, en profitant d’un travail déjà préparé, en ajoutant la seule chose qui manquât : la vie et la lumière.

Un résultat qui n’était ni attendu ni cherché s’est trouvé acquis par surcroît. Les savans considèrent la lumière électrique comme la plus parfaite parce qu’elle est celle qui se rapproche le plus du soleil, qu’elle est blanche, qu’elle contient tous les rayons visibles, en un mot parce qu’elle est complète. Ils nous apprennent, au contraire, et ils viennent de nous en donner la preuve incontestable, que la lumière des flammes est entachée d’un irrémédiable défaut, celui d’être dépourvue de bleu et de violet, de contenir un excès de jaune et d’altérer tous les tons. Ils soutiennent que ceux qui la préfèrent obéissent à un préjugé dont l’usage fera justice. Les artistes, les architectes, et beaucoup de gens du monde raisonnent autrement. Ils ne s’inquiètent point de savoir si la lumière électrique est complète ou non ; ils la jugent avec leurs impressions ; ils disent qu’elle est froide ; par opposition, ils affirment que celle du gaz est chaude et ils la préfèrent ; ils demandent, non pas qu’on reproduise l’éclairage du jour, mais qu’on tienne compte d’un besoin des yeux, de la couleur. Il est inutile de discuter. Partant de points de vue et d’idées différens, savans et artistes ne se mettront point d’accord, au moins présentement ; mais il faut reconnaître que les artistes ont le droit d’exiger la lumière qui leur convient sans que les savans aient celui de leur imposer celle qu’ils préfèrent. Or il s’est trouvé que l’expérience récemment faite dans la salle de l’Opéra donne une égale satisfaction aux deux opinions. La lumière froide des bougies Jablochkof s’est trouvée réchauffée par les rayons orangés du lustre ; l’électricité a donné l’éclat, le gaz s’est chargé de la couleur, et la combinaison s’est faite en proportions si heureuses que rien ne semble y manquer, qu’on en doit féliciter M. Garnier et le supplier de rendre définitif un essai qui a si bien réussi. Le public l’y encouragera, au besoin l’y contraindra.

On doit donc conserver le lustre ; mais il faut de toute nécessité remplacer par des lampes électriques la rampe actuelle, et l’on supprimera d’un seul coup toutes ses complications, tous ses dangers et surtout l’insupportable échauffement dont elle est cause. On aura cinquante fois moins de chaleur pour la même somme de lumière ;