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Cela ne suffit point encore : il faut une rampe. Placée entre la salle et la scène, habilement dissimulée au spectateur, mais lançant obliquement vers les artistes sa lumière et le feu de soixante lampes alignées, la rampe est enfermée dans un coffre vitré, le gaz y brûle de haut en bas entraîné par une ventilation énergique, afin de préserver les jupes de la flamme et de diminuer, s’il se peut, son énorme chaleur ; elle est placée dans un corridor long et étroit qui s’échauffe jusqu’à 50 degrés, jusqu’à devenir inhabitable : séjour mortel où personne ne résiste longtemps. C’est là qu’est accumulée toute sa machinerie, là qu’arrive le gaz par le conduit unique et énorme qui doit tout alimenter, c’est de là qu’il part pour se distribuer par des robinets proportionnés, pour se rendre au lustre, à la rampe, aux herses. C’est là que se tient le gazier ; comme le musicien à son pupitre, il a sa partition étalée sous ses yeux, qui lui commande à des momens précis, suivant les besoins de la mise en scène, d’augmenter, de modérer, d’éteindre ou de colorer la lumière dans chacune des parties de ce vaste ensemble.

Telle est la redoutable et complexe organisation de l’éclairage dans les théâtres. Déjà difficile dans les petits, elle s’exagère tellement avec les dimensions qu’elle touche à des impossibilités quand il s’agit de l’Opéra, quand il faut avec un lustre unique, dans un vaisseau aussi vaste qu’une cathédrale, verser une lumière égale et suffisante sur des milliers de spectateurs. On comprend aisément que l’architecte ait échoué dans cette tâche, car il faut le reconnaître, et M. Garnier le sait mieux que personne, il a échoué : la lumière manque ! Ce n’est pas sa faute, c’est celle du gaz, dont la puissance ne suffit pas, et auquel on a bien été forcé de demander plus qu’il ne pouvait donner. M. Garnier l’avait prévu, il avait fait son possible pour y suppléer ; il avait ménagé tout en haut, sous le plafond, une couronne d’ouvertures circulaires, en harmonie avec la décoration générale, fermées du côté de la salle par des verres dépolis, bombés, taillés à facettes, et il avait disposé par derrière des becs de gaz avec réflecteurs. Il en attendait merveilles, mais l’effet en fut à peu près nul, et l’on avait cessé de s’en servir. On vient d’utiliser ces ouvertures en y plaçant des bougies Jablochkof ; c’est la seule addition que l’on ait faite, elle est très heureuse, elle a suffi pour transformer la salle.

L’art de l’éclairage est compliqué ; il n’est pas souvent compris. Il ne s’agit point d’aveugler le spectateur en lui mettant devant les yeux des lumières éblouissantes et insupportables ; il faut, au contraire, les lui cacher et ne leur donner d’autre rôle que d’illuminer les objets qu’il faut regarder. A l’Opéra, il faut verser cette lumière obliquement, du haut en bas, sur les colonnes, sur l’or des balcons,