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L’Europe septentrionale est représentée par des visiteurs ou des pèlerins tels que le comte Everard de Wurtemberg, le duc Ernest de Saxe, dont la suite brillante, vêtue de velours noir, fit l’admiration des Romains, le roi Chrétien de Danemark ; l’Europe orientale par les reines de Bosnie et de Chypre, les despotes du Péloponèse et de l’Épire. Le tsar lui-même envoya une ambassade auprès du chef des catholiques.

Raffinemens introduits dans l’étiquette, inscription, au budget de la chambre apostolique, de dépenses que l’on ne s’attendrait guère à y trouver, telles que l’organisation des fêtes du Carnaval, médailles et poésies commémoratives, rien ne fut négligé pour consacrer les droits, si longtemps méconnus, de ce que le prédécesseur de Sixte, Paul II, appelait : Hilaritas publica. Le deuil du moyen âge a pris fin ; au siècle nouveau, si pressé de jouir, il faut l’éclatante manifestation de ses aspirations et de ses conquêtes. Que les moralistes, qui ont jugé si sévèrement la pompe mondaine déployée par Léon X, tiennent compte de ces précédens ! En étudiant l’attitude des papes du XVe siècle, ils seront plus disposés à l’indulgence pour l’héritier des Médicis.

Le cardinal de Saint-Sixte, Pierre Riario, donna le signal des réjouissances. Les fêtes célébrées en l’honneur de la fiancée du duc de Ferrare, Eléonore d’Aragon, fille du roi de Naples, lorsque cette princesse traversa Rome, en 1473, pour se rendre dans sa nouvelle résidence, comptent parmi les plus somptueuses dont l’histoire ait gardé le souvenir. Sans doute, les calculs politiques n’étaient pas étrangers à ces prodigalités, mais le besoin de luxe y tenait une place encore plus large.

Reçue par les deux tout-puissans neveux du pape, les cardinaux de Sainte-Sixte et de Saint-Pierre ès-Liens, la princesse fut conduite en grande pompe au palais des Saints-Apôtres, où on lui avait préparé des appartemens dignes d’elle. Sur la place, couverte des plus riches tentures, s’ouvraient trois salles décorées à l’antique, avec des colonnes ornées de fleurs et de feuillage, et une frise formée des armes du pape, du cardinal de Saint-Sixte, du roi de Naples, du duc de Milan et du duc de Ferrare ; les murs disparaissaient derrière des tapisseries de haute lisse d’un prix inestimable, le sol sous des tapis non moins somptueux ; on aurait cru, ajoute naïvement le chroniqueur milanais Corio, auquel nous empruntons ces détails, que saint Pierre était descendu des cieux sur la terre. Des meubles précieux se détachaient sur ce fond éblouissant ; ici une crédence ployant sous le poids de vases en or ou en argent ; ailleurs un lit de velours cramoisi, aux franges d’or, une table de cyprès d’un seul morceau, puis des banquettes, des fauteuils tendus