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poésie et la grammaire grecques par 70 ; l’histoire latine par 125 ; l’histoire grecque par 59. On compte enfin 49 volumes d’astrologues grecs ; 19 d’astrologues et géomètres latins, 103 de philosophes latins, 94 de philosophes grecs ; 55 volumes de médecine écrits en latin et 14 écrits en grec, à cette époque, où le latin était la seule langue digne d’un homme instruit, il ne faut pas nous étonner de ne rencontrer que de loin en loin un ouvrage écrit en langue vulgaire, dans cette langue que Dante avait illustrée depuis plus d’un siècle et demi. Il serait difficile, je crois, de découvrir dans la bibliothèque de Sixte IV un exemplaire de la Divine Comédie. Quant à Pétrarque, c’est surtout, j’allais dire uniquement, par ses écrits latins qu’il y est représenté.

Le personnel attaché à la bibliothèque était peu nombreux ; il comprenait, outre Platina, trois employés, indifféremment qualifiés de « scriptores, » de « librairii, » ou de « custodes, » et un relieur. En sa qualité de bibliothécaire en chef, Platina recevait 420 ducats par an, soit environ 6,000 francs, au pouvoir actuel de l’argent ; il était en outre logé. Quant à ses quatre subordonnés, ils n’avaient droit chacun qu’à 12 ducats par an ; l’un d’eux, Demetrius de Lucques, était cependant un savant d’un grand mérite et qui arriva plus tard à la célébrité. Telle était la pénurie dans laquelle se trouvaient ces pauvres gens qu’à un certain moment leur chef signala au pape l’état lamentable de l’un d’eux, qui, disait-il, était à moitié nu et grelottait de froid : semi-nudus et algens. Sixte se montra généreux ; il accorda les 10 ducats nécessaires à l’achat d’un vêtement.

Sixte profita-t-il, pour développer sa collection, des ressources offertes par la merveilleuse invention qui vint si singulièrement en aide à la renaissance, l’imprimerie ? Tous ses contemporains, on le sait, ne l’accueillirent pas avec une égale faveur. Le duc Frédéric d’Urbin aurait eu honte, dit son biographe, le libraire Vespasiano, qui lui avait vendu tant de beaux manuscrits, de posséder un livre imprimé. Les envoyés du cardinal Bessarion partageaient ce préjugé : lorsqu’ils virent chez Constantin Lascaris un volume fraîchement sorti des presses, ils se moquèrent de l’invention faite dans une ville allemande, chez les barbares. Pour un grand seigneur, rien n’était en effet plus facile que de se passer d’un procédé dont les avantages devaient surtout être appréciés de la masse du public. Avec de l’argent, on pouvait à cette époque improviser des bibliothèques dont la formation exigerait aujourd’hui de longues années. Cosme de Médicis le prouva bien à ses contemporains. En employant quarante-cinq copistes, il réussit, dans l’espace de vingt-deux mois, à se procurer deux cents ouvrages nouveaux. Quelle est l’imprimerie moderne capable d’un pareil tour de force ?