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pas nécessaire de mentir. Je me contiens, pour ne pas écrire de nouveau des satires, » Aai mois de mai de l’année suivante, autre lettre au cardinal de Novare : « Vous me demandez ce que je fais ; j’ai recommencé à composer des satires. Chez vous, on me l’affirme, les Muses, pour retrouver un asile, sont condamnées à attendre le retour du saint et savant pape Nicolas V. Ne sait-on pas, en effet, que nul n’aime ce qu’il ne connaît point ? » Quelques semaines plus tard, l’attaque se dessine. Philelphe insiste d’abord sur les services rendus par Nicolas V, qui fit traduire tant d’ouvrages grecs. « Si ses successeurs, ajoute-t-il, avaient suivi son exemple, notre siècle pourrait rivaliser avec l’antiquité. Mais Sixte IV, tout entier à la théologie et à la philosophie, méprise les autres facultés, ou plutôt les ignore. Pour comble de malheur, il partage contre le Mammon les préjugés des frères mineurs, et craint d’y toucher. De peur d’être accusé de prodigalité, il affecte la parcimonie. » Une lettre adressée au cardinal de Mantoue contient des épigrammes encore plus mordantes : « Que Sixte imite le Christ en tout, sauf dans son amour de la pauvreté ; qu’il admette un mode de rémunération différent de celui auquel nous pouvons prétendre dans l’autre monde. » L’orage grondait sur la tête du pape, il allait éclater. Sixte ouvrit les yeux à temps et accorda aux menaces ce qu’il avait refusé aux prières.

Quelles que fussent la vanité et l’avidité de Philelphe, la générosité du pape dépassa son attente : il lui accorda un traitement de 600 ducats, auxquels, vinrent s’ajouter dans la suite 200 ducats pour une charge de secrétaire apostolique, soit au total, au cours actuel de l’argent, une quarantaine de mille francs par an. L’humaniste porta aux nues la magnificence de celui dont il avait, quelques semaines auparavant, si aigrement raillé la lésinerie, et ne négligea rien pour faire honneur à son mécène. De tout temps, il avait mené le train d’un grand seigneur plutôt que celui d’un savant. À son retour de Constantinople, alors qu’il n’était encore qu’un simple débutant, sa maison, se composait déjà de deux domestiques et de quatre servantes. Plus tard, à l’époque même où il se plaignait le plus amèrement de sa détresse, il avait six chevaux dans son écurie. Il n’eut garde, aux approches de la vieillesse, de modifier ses habitudes : nous en avons la preuve dans la lettre par laquelle il donna carte blanche à un de ses amis pour lui louer, à Rome, une maison commode et agréable. « Jamais, ajoute-t-il,.l’avarice n’a trouvé place dans mon cœur ; aujourd’hui j’en suis arrivé à ne plus la connaitre, même de nom. »

À des besoins aussi développés correspondait une rare puissance de travail. Quel professeur moderne ne déclarerait pas irréalisable