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prit rapidement des proportions épiques. Le Pogge lança contre Philelphe ses immortelles Invectives ; Philelphe riposta pas ses satires, dont les hexamètres, artistement ciselés, faisaient des blessures non moins cruelles. Jetons un voile sur ces turpitudes. Le monde littéraire n’a plus assisté depuis lors à un débat aussi scandaleux. La politique se mit de la partie. Lors de la conjuration des Albizzi, qui réussirent, pour un moment du moins, à enlever le pouvoir aux Médicis, Philelphe demanda hautement la tête du principal vaincu, Cosme, le père de la patrie, l’allié de ses ennemis. Un humaniste osant se poser en adversaire d’un chef d’état, n’était-ce pas un signe des temps ? Cosme fit-il réellement à Philelphe l’honneur de soudoyer un spadassin chargé de l’assassiner ? On l’a répété si souvent qu’il faut bien le croire. Ce qui est certain, c’est que, après le retour des Médicis, Philelphe se réfugia auprès des Siennois, les ennemis héréditaires des Florentins, et occupa pendant plusieurs années une des chaires de leur université. Plus tard, brûlant de se signaler sur un plus vaste théâtre, il obtint d’être appelé à Milan. Sans s’intéresser aux lettres, le dernier des Visconti, un des tyrans les plus odieux du XVe siècle, n’était pas indifférent au lustre qu’elles pouvaient jeter sur son règne. Philelphe était célèbre ; il n’en fallut pas davantage pour lui gagner la bienveillance du prince lombard. Milan devint désormais pour lui comme une seconde patrie. Il ne négligeait pas pour cela les autres souverains de la péninsule ; son voyage à Rome et à Naples fut une longue suite d’ovations. Le pape Nicolas V, apprenant son passage dans sa capitale, donna l’ordre de l’amener immédiatement devant lui, l’accabla de caresses, et de son propre mouvement lui fit don de 500 ducats d’or ! À Naples, le roi Alphonse le créa chevalier et le couronna poète. L’avènement de Pie II, si célèbre parmi les humanistes sous le nom d’Æneas Sylvius Piccolomini, fit tressaillir d’allégresse les savans de l’Italie entière et surtout Philelphe, qui, à Florence, avait compté le nouveau pape parmi ses auditeurs. Les illusions ne furent pas de longue durée. Pie II connaissait trop bien la vanité et la cupidité de ses confrères pour leur prodiguer ses faveurs. Il se contenta de décerner à son ancien professeur le titre de muse attique : attica musa, et de lui accorder une pension de 200 ducats, qui ne fut d’ailleurs payée que pendant un an. Il faut lire dans le recueil épistolaire de Philelphe ses remercîmens enthousiastes, auxquels succédèrent bientôt des doléances sur le retard apporté au règlement de la pension. Les doléances étant restées sans effet, l’humaniste éclata en menaces ; celles-ci, à leur tour, n’ayant pas produit le résultat espéré, il se livra contre le pape aux invectives les plus grossières. Lorsque Pie II mourut, après un