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choses. Incapable de discuter, de négocier, il brisa tout ce qui lui résiste. L’anathème en matière de religion, la guerre en matière de politique, tels sont ses seuls argumens. Un des chefs de la maison Colonna, le fameux protonotaire, tarde-t-il à se rendre à son appel, il le fait mettre à la torture et décapiter. Les della Valle violent-ils ses ordres, il fait démolir de fond en comble leurs palais. La conjuration des Pazzi prouva qu’il ne reculait même pas devant l’assassinat pour triompher de ses adversaires. Et encore si ces entreprises avaient eu pour but la consolidation du pouvoir temporel, comme celles de son neveu Jules II ! Mais il n’avait en vue que l’agrandissement de sa famille, et, sacrifiant l’avenir au présent, il suscitait d’un cœur léger les plus graves embarras à ceux qui prendraient en mains, après lui, le gouvernail de l’église. On oublie trop que, s’il s’occupa d’affaiblir l’autorité des barons romains, ce fut surtout pour leur substituer d’autres titulaires, qui n’auraient pas tardé, comme eux, à se retourner contre le pouvoir dont ils émanaient. Son neveu, Girolamo Riario, pour lequel il rêvait un état indépendant, serait certainement devenu pour ses successeurs un adversaire aussi redoutable que l’avaient été pour lui ou pour ses prédécesseurs les Orsini et les Colonna. Sixte ne sut donc ni assurer à ses sujets la tranquillité matérielle que leur avait donnée son prédécesseur Paul II, nin comme l’avaient fait Pie II et Calixte III, les armer pour quelque grande cause, telle que la croisade contre les Turcs. Aucun principe politique supérieur ne semble avoir présidé à ses guerres. Mais, cette réserve faite, il faut avouer qu’il eût été difficile de diriger les opérations avec plus de vigueur, d’apporter dans ces entreprises, la plupart injustes, une opiniâtreté plus grande. C’est que l’énergie remplaçait chez Sixte l’élévation des vues ; et cette énergie de son côté n’était que la résultante d’une ambition qui dut paraître effrénée, même à une époque si riche en parvenus fameux.

L’énergie dont Sixte a fait preuve dans ses entreprises militaires, nous la retrouvons dans son administration civile : il y révèle des qualités hors ligne. Sans doute, ce sont toujours les mêmes vues personnelles, c’est, dans le choix des moyens d’exécution, la même absence de scrupules. Mais l’intérêt du pape se confondant ici souvent avec celui de l’état pontifical, et surtout de la ville de Rome, les résultats obtenus ne pouvaient manquer d’être remarquables. A cet égard, ses contemporains Paolo dello Mastro et Infessura ont été injustes : ils n’ont vu en lui que le tyran, non l’organisateur. Personne ne savait comme Sixte assurer l’exécution de ses ordres ; il prévoit tout, règle tout (ses bulles sont des chefs-d’œuvre de précision), se rend compte de tout par lui-même. En cas de lenteur ou de désobéissance, les armes spirituelles ne lui suffisant pas, il n’hésite pas à frapper de la prison, de la confiscation, de la peine