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fenêtre baignée dans la clarté pâle de la lune, tout attendri, il s’écriait : « O Henriette ! » Le docteur ne tarda pas à reprendre le chemin du presbytère. Il revit la fille du pasteur, qui lui offrit un trèfle à quatre feuilles : « Prenez-le, dit-elle, cela vous portera bonheur. » Lui, sous le charme, prit la feuille de sa main ; transporté par la joyeuse innocence de son être, et le chaud regard qu’elle lui adressait d’un air suppliant, il s’inclina vers elle et la baisa légèrement suivies lèvres. Elle, immobile, ferma un instant les yeux, puis le regarda de nouveau avec tendresse, rougissant un peu. Aucun des deux ne parlait… » C’est bien là l’ingénue Allemande, avec son innocence un peu molle, son laisser-aller de blonde lymphatique. Combien différentes les fières jeunes filles de Walter Scott, parfois si audacieuses d’allures, mais d’une si chaste réserve en tout ce qui touche aux faiblesses du cœur !

Pendant que le docteur Kœnig se perd dans des rêves agréables, la guerre éclate. Le départ des soldats trouble la paix et le repos de la petite ville. Bientôt arrivent les mauvaises nouvelles : « Les Français sont vainqueurs, l’armée prisonnière est obligée de capituler, le roi s’est réfugié jusqu’aux extrémités de son royaume, l’ennemi entre à Berlin. Puis les soldats reviennent, isolés ou par petits groupes, prisonniers de guerre échappés ; ils rentrent sans armes, déguenillés, affamés, maudissant leurs officiers. » L’arrivée des Français est imminente, chacun de cacher son argent, ses objets précieux ; enfin, par une sombre journée de décembre, le premier cavalier ennemi, le pistolet au poing, occupe la ville presque sans résistance ; cruauté des vainqueurs, villages saccagés, exactions, espionnage, délation, enlèvement des citoyens paisibles, on croit lire un chapitre de la guerre de 1870. M. Freytag nous semble substituer sa propre fantaisie à la vérité historique lorsqu’il nous parle de la politesse rampante des généraux de Napoléon Ier, qui n’étaient ni très polis, ni surtout rampans. Le temps n’était plus aux généraux de cour.

Témoin de toutes les horreurs de l’occupation, le docteur avait la consolation de penser que la femme qu’il aimait se trouvait du moins à l’abri du danger dans son presbytère ignoré. À ce moment même, le village était occupé, la maison du pasteur envahie, et la fraîche beauté de la demoiselle l’exposait au plus grand des périls. Elle se défendait contre un soldat brutal, quand survint fort à point un officier français qui fit à coups de sabre lâcher prise à l’agresseur ; mais enflammé lui-même d’une passion subite à la vue de tant de charmes éplorés, il mit au doigt d’Henriette un anneau de fiançailles, sans que la pauvre fille, dans son