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de pain ordinaire ; plusieurs, néanmoins, surtout en Asie-Mineure, n’emploient que l’azyme. La Bible et les écrits du Nouveau-Testament sont la base de l’enseignement ecclésiastique, et, en même temps, une foule d’autres livres sont adoptés par les uns, rejetés par les autres. Les quatre Évangiles sont fixés, et pourtant beaucoup d’autres textes évangéliques circulent et obtiennent faveur. La plupart des fidèles, loin d’être des ennemis de l’empire romain, n’attendent que le jour de la réconciliation et admettent déjà la pensée d’un empire chrétien ; d’autres continuent à vomir contre la capitale du monde païen les plus sombres prédictions apocalyptiques. Une orthodoxie est formée et sert déjà de pierre de touche pour écarter l’hérésie ; mais, si l’on veut abuser de cette raison d’autorité, les docteurs les plus chrétiens se raillent hautement de ce qu’ils appelleront « la pluralité de l’erreur. » La primauté de l’église de Rome commence à se dessiner ; mais ceux-là mêmes qui subissent cette primauté protesteraient si on leur disait que l’évêque de Rome doit un jour aspirer au titre de souverain de l’église universelle, en somme, les différences qui séparent de nos jours le catholique le plus orthodoxe et le protestant le plus libéral sont peu de chose auprès des dissentimens qui existaient alors entre deux chrétiens qui n’en restaient pas moins en parfaite communion l’un avec l’autre.

Voilà ce qui fait l’intérêt sans égal de cette période créatrice. Habitués à n’étudier que les périodes réfléchies de l’histoire, presque tous ceux qui, en France, ont émis des vues sur les origines du christianisme n’ont considéré que le IIIe et le IVe siècle, les siècles des hommes célèbres et des conciles œcuméniques, des symboles et des règles de foi. Clément d’Alexandrie et Origène, le concile de Nicée et saint Athanase, voilà, pour eux, les sommets et les hautes figures. Nous ne nions l’importance d’aucune époque de l’histoire ; mais ce ne sont pas là des origines. Le christianisme était entièrement fait avant Origène et le concile de Nicée. Et qui l’a fait ? Une multitude de grands anonymes, des groupes inconsciens, des écrivains sans nom ou pseudonymes. L’auteur inconnu des épitres censées de Paul à Tite et à Timothée a plus contribué que n’importe quel concile à la constitution de la discipline ecclésiastique. Les auteurs obscurs des Évangiles ont apparemment plus d’importance réelle que leurs commentateurs les plus célèbres. Et Jésus ? On avouera, j’espère, qu’il y a eu quelque cause pour laquelle ses disciples l’aimèrent jusqu’au point de le croire ressuscité et de voir en lui l’accomplissement de l’idéal messianique, l’être surhumain destiné à résider au renouvellement complet du ciel et de la terre.