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étaient si peu ménagées et qui se mettait à couvert derrière les naissances, venait à fournir des prétextes, et de résigné devenait provocateur. Tout se justifiait alors ; la Prusse subissait la guerre ; l’opinion publique de l’Europe se retournait, l’Allemagne, était attaquée, le casus belli était flagrant, les cours du Midi n’avaient plus d’excuses. M. de Bismarck attendait, il restait impénétrable et demeurait inaccessible au corps diplomatique.

M. Benedetti l’évitait ; ils ne recherchaient ni l’un ni l’autre l’occasion de se rencontrer. L’ambassadeur se bornait à rendre compte à son gouvernement des appréciations de la presse, ce qui n’avait rien de réjouissant, et des idées qu’il échangeait avec ses collègues. Sa réserve était remarquée, elle donnait à gloser. On en concluait qu’il était animé de sentiment hostiles et que ses ressentimens le portaient à pousser son gouvernement à la guerre. Du reste, le mot d’ordre était donné ; on répétait en chœur dans les salons, dans les clubs, et même dans les entours du roi, comme s’il s’agissait d’une consigne, que la France voulait la guerre, que le Luxembourg n’était qu’un prétexte, que, loin d’être une garantie pour la paix, le sacrifice du grand-duché ne contribuerait qu’à aiguiser ses convoitises en affaiblissant l’Allemagne.

Aussi demandait-on à ouvrir les hostilités sans plus de retard, dans des conditions exceptionnelles, avant que la France fût armée, avec deux neutralités assurées, celles de l’Autriche et de l’Italie, et l’alliance russe, qui interviendrait au besoin, en cas de revers. « Aujourd’hui, disait le général de Moltke, nous avons pour nous cinquante chances ; d’ici ai un an, nous n’en aurons plus que vingt-cinq. »

Il est certain qu’en France les armemens étaient poussés avec une activité fiévreuse, mais personne ne pouvait s’y méprendre ; la défense seule les commandait. La presse prussienne en dénaturait sciemment le caractère, elle s’en autorisait pour pousser à un conflit et démontrer à l’Allemagne qu’elle en serait réduite à devoir, d’un jour à l’autre, se défendre contre une agression préméditée. La situation était des plus tendues ; on était à la merci des événemens, lorsque j’appris que le baron Charles Mayer de Rothschild, avec lequel j’entretenais de fréquentes et d’amicales relations, était revenu de Berlin. Il était intéressant de connaître ses impressions. Le baron Kart Mayer, comme on l’appelait, était un cosmopolite. Sans passions, il n’avait que des intérêts. Le succès l’avait attiré vers la Prusse. Il s’était fait nommer par l’ancienne ville libre membre du Reichstag ; sa présence donnait au parlement du Nord, assemblée de professeurs, de fonctionnaires et de hobereaux, l’éclat des millions. Il était « la grande attraction ; » on le montrait du doigt, sa vue éveillait des convoitises. On le fêtait à la cour,