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pouvoir avec la mission de redresser ces affaires mal engagées, de relever la direction politique de la France, de reconstituer un gouvernement avec le concours d’une majorité disposée à le suivre. M. Gambetta est l’homme indispensable aujourd’hui, universellement désigné soit par l’ardeur des sympathies qui le soutiennent, soit par l’ardeur des hostilités qui poursuivent en lui le chef d’une prochaine administration. C’est lui qui a dans les mains la solution de la crise et qui doit dissiper toutes les confusions. — M. Gambetta a, en effet, des chances d’être un de ces jours premier ministre, et il aura, si l’on veut, une majorité, soit ; mais enfin la question est de savoir ce que sera, ce que fera ce ministère. M. Gambetta, après tout, n’est pas un homme nouveau. Il a eu sa part d’influence, même d’influence prépondérante, dans tout ce qui s’est fait depuis quelque annéss, dans une politique, dans des actes qui ont conduit la France à la situation difficile où elle se trouve. Il est depuis longtemps le prépotent de la république. Un jour, il est vrai, il a prétendu être innocent de toute action occulte et n’avoir pas même connu une mission que tout le monde connaissait, dont l’opinion lui attribuait l’initiative. C’était bien de l’innocence, qui prouvait peut-être simplement que la mission, n’ayant pas réussi, n’était plus bonne qu’à être désavouée. M. Gambetta n’a pas moins été mêlé activement, quoique parfois indirectement, à tous les faits, à tous les incidens politiques qui se sont succédé, et ceux-là même des ministres qui sont aujourd’hui le plus compromis, c’est lui qui les a placés au pouvoir, c’est lui qui les a soutenus. Lorsque, l’an dernier, M. de Freycinet se voyait obligé de quitter la présidence du conseil et tombait, obscurément, sans bruit, sans débat parlementaire, devant la résistance de quelques-uns de ses collègues, M. le général Farre, M. Constans, M. Cazot, ces derniers n’étaient forts que parce qu’ils représentaient l’influence de M. Gambetta. Si M. Jules Ferry, depuis qu’il est le chef du cabinet, ne s’est pas séparé du ministre de l’intérieur, du ministre de la guerre, c’est parce qu’il les savait soutenus par M, le président de la chambre des députés. Un document récent, qui reproduit les honnêtes et probes explications de M. Dufaure au sujet de la crise de l’avènement de M. Jules Grévy à la présidence, ce document constate l’ardeur avec laquelle M. Gambetta portait M. le général Farre au ministère de la guerre : il pressentait sans doute dans le candidat de son choix l’habile organisateur de l’expédition de Tunisie ! M. Gambetta a donc, après tout, sa part de responsabilité dans ce passé qu’on tient à liquider aujourd’hui, et il s’agirait de savoir s’il se propose de continuer ce passé, si, comme on le disait autrefois, il a tout simplement l’intention de jouer le même air en le jouant mieux.

Non, sans doute, ce n’est pas cela. M. Gambetta a eu, il est vrai.