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insuffi- et que, pour avoir l’argent nécessaire, on a dû puiser dans des crédits affectés à d’autres services. C’est là justement ce qui est irrégulier, ce qui avait un nom suspect sous l’empire et ce qui semblait ne pas devoir passer dans un budget de la république. A quoi bon les subterfuges ? C’est là une politique puérile. Tout finit par se savoir et, un jour ou l’autre, on est exposé à quelque mésaventure, comme celle que M. le ministre de la guerre vient d’essuyer.

M. le ministre de la guerre, il y a quelques jours à peine, a fait paraître une note destinée à rassurer l’opinion, assez alarmée depuis quelque temps sur l’état sanitaire de l’armée de Tunisie. La statistique avait complaisamment groupé des chiffres et des moyennes qui n’étaient pas des plus faciles à comprendre, mais qui devaient produire le meilleur effet. La note officielle avait à peine paru cependant qu’un journal spécial, la Gazette hebdomadaire de médecine publiait, dans un récit émouvant, une série de documens précis et douloureux sur ce même état sanitaire, et ici toute politique était étrangère à ces révélations pleines de détails pénibles. Il en résulte que, dans cette malheureuse campagne, le service des médecins, l’organisation des ambulances, la distribution des médicamens, les approvisionnemens les plus simples, tout a été insuffisant ou tardif, et que nos soldats, atteints souvent d’épidémies meurtrières, ont eu, ont peut-être encore cruellement à souffrir. Tout cela est net, inexorable comme une constatation de médecin, et il n’y a d’ailleurs dans ces détails rien qui ne concorde avec les correspondances de nombre d’officiers qui, sans récriminations, supportant vaillamment leur sort, écrivant dans la plus stricte intimité, parlent des souffrances de leurs soldats, du dépérissement de leurs effectifs. M. le ministre de la guerre a paru péniblement étonné de voir sa note pâlir subitement devant ces révélations, d’apprendre par un journal ce qu’il ignorait, — et il a ordonné une enquête ! L’enquête produira pour sûr des rapports, et elle ne fera pas revivre ceux qui ont été victimes des incohérences administratives. Le malheur est de n’avoir pas su à l’origine ce qui manquait pour une entrée en campagne ; de telle sorte qu’en cela comme en tout, dans les services médicaux comme dans l’organisation des forces militaires, comme dans les finances, le ministère, pour n’avoir pas été à la hauteur de son mandat, pour n’avoir pas démêlé ou pour n’avoir pas suffisamment avoué au pays la vérité, se trouve sous le poids d’assez graves responsabilités devant les chambres. Il expliquera de nouveau cette affaire tunisienne et il obtiendra son bill d’indemnité, c’est possible. Il ne reste pas moins des faits évidens, palpables qui représentent une série de méprises, une malheureuse médiocrité de gouvernement, et qui ne sont pas de nature à relever le crédit politique d’un ministère.

Raison de plus, dira-t-on, pour liquider au plus tôt ce passé, pour entrer dans une voie nouvelle, pour appeler enfin M. Gambetta au