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d'hui ? La situation ne laisse pas de rester sérieuse. On vient d’occuper les forts de Tunis, on est entré dans la ville, que des forces françaises gardent désormais militairement. Qu’on donne à cette mesure de sûreté le nom qu’on voudra, peu importe. C’était un acte de vigueur devenu nécessaire pour mettre la capitale de la régence à l’abri des troubles intérieurs aussi bien que des attaques extérieures. Il n’y avait point à hésiter au point où en sont les choses, au moment où nos soldats ont à faire face à un ennemi tourbillonnant autour d’eux. Il n’y a que quelques jours, à peine un de nos détachemens venait-il de quitter Hammamet que des Arabes entraient dans la ville et la saccageaient. Hier encore, à Sousse, quelques compagnies françaises envoyées en reconnaissance se sont trouvées bientôt aux prises avec des contingens nombreux, et tandis que le littoral est si peu sûr, la vallée de la Medjerda est livrée à l’insurrection, qui dévaste la ligne du chemin de fer, surprend des postes, marquant son passage par le massacre et le pillage. De toutes parts, on se trouve manifestement en présence d’une explosion de fanatisme religieux et national, d’une population belliqueuse appelée aux armes, et c’est une question de savoir si l’expédition qui se prépare contre Kairouan, dont M. le général Saussier va prendre le commandement, atteindra d’une manière efficace l’insurrection dans son foyer. C’est une série d’opérations à reprendre, à conduire, non plus comme au début avec incohérence, avec des bataillons mal liés, mais avec suite, avec une active et énergique vigilance, surtout avec des forces suffisantes. Si ce n’est une conquête, selon le mot de M, le duc de Broglie, c’est du moins une vraie campagne à recommencer ou à commencer dans des conditions nouvelles, une campagne qui aurait pu être rapide et décisive, il y a quelques mois, avant le progrès du mouvement aï-abe, qui peut devenir laborieuse aujourd’hui.

La première faute, la faute évidente, a été de se faire illusion à l’origine, de n’adopter que des demi-mesures, surtout d’avoir l’air de déguiser la vérité au pays, au parlement. On a procédé dans la partie militaire de l’expédition tunisienne, comme on a procédé dans la partie financière. On a craint d’avouer les dépenses qui allaient devenir nécessaires, on a laissé partir les chambres sans leur demander les ressources extraordinaires dont on avait besoin, et il a bien fallu cependant suffire aux frais d’une entreprise où l’on répétait sans cesse que le drapeau était engagé. Il a bien fallu avoir de l’argent, et on l’a trouvé par une combinaison bien simple, qui a consisté à le prendre là où il était. Vainement M. le ministre de la guerre et M. le ministre des finances s’efforcent aujourd’hui d’expliquer leur combinaison et font dire pour leur justification que le budget a suffi, qu’on a trouvé tout ce qu’il fallait dans les crédits ordinaires, que tout sera réglé par ce qu’on appelle une « ventilation. » Le fait clair et net, c’est que les ressources extraordinaires votées par les chambres étaient notoirement insuffi-