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per. » Le gouvernement se fût-il bercé de quelque illusion à l’origine, il ne pouvait plus avoir la même quiétude, le même optimisme au mois de juillet ; ce que M. le duc de Broglie prévoyait, il pouvait le prévoir, et il aurait dû dès lors proportionner ses moyens d’action à la gravité croissante d’une entreprise qu’il ne croyait plus pouvoir déserter.

Malheureusement il est désormais trop clair qu’on s’est jeté dans cette aventure un peu à la légère, sans regarder au lendemain, avec l’espoir d’un facile succès, et ce qui est plus évident encore, c’est qu’une fois l’affaire engagée, on a été en quelque sorte ressaisi par les calculs de parti, par les considérations ministérielles, par la crainte d’avouer le véritable caractère des événemens. On a voulu continuer, aller au péril sans s’assurer les ressources nécessaires, les conditions et les garanties d’une action prévoyante. Questions de commandement, composition des forces expéditionnaires, distribution des corps, organisation des services, opérations, tout a été soumis à des intérêts politiques, à des raisons d’un ordre intérieur. Comme il fallait éviter d’effaroucher le pays par des déploiemens trop visibles et inusités de forces militaires, on s’est épuisé en combinaisons pour prendre des troupes de toutes parts et pour déguiser autant que possible les envois de renforts. Après la première expédition des Khroumirs, comme on avait à craindre des interpellations parlementaires et comme on voulait éviter de laisser croire à des complications nouvelles, on se hâtait de rappeler imprudemment des bataillons qu’on était obligé de renvoyer presque aussitôt en Afrique. Lorsque les élections sont venues, il fallait absolument rassurer l’opinion, s’abstenir de tout mouvement, et on ne permettait pas même de dire que la guerre était possible, qu’on aurait à envoyer de nouvelles troupes, qu’on pourrait même retenir certaines classes. Ce n’est que le lendemain qu’on s’est remis un peu à l’œuvre, et l’histoire des ordres et des contre-ordres de M. le ministre de la guerre au sujet de la classe de 1876, cette histoire n’est-elle pas la plus frappante preuve de la subordination des affaires militaires aux petits calculs d’une politique de parti ?

La conséquence a été sensible et elle ne pouvait être que douloureuse. En réalité, on a procédé avec un décousu complet, sans méthode, sans idée arrêtée. On a dispersé des troupes exposées à toutes les influences pernicieuses du climat, et nulle part on n’a été en mesure de faire des opérations sérieuses. On a occupé certains points et on a laissé inoccupées des régions entières qui auraient dû être gardées avec vigilance. Nos troupes disséminées se sont trouvées parfois réduites à se défendre contre de violentes attaques, contre un mouvement insurrectionnel, qui n’a fait que s’étendre et s’aggraver depuis quelques mois, auquel l’imprévoyance a laissé le temps de grandir. Des combats obscurs et des souffrances, c’est tout ce qu’ont eu jusqu’ici nos soldats dans cette ingrate campagne. Et où en est-on aujour-