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bout, de se présenter devant les chambres, en un mot, de régler ses comptes. Le secret de ce qui se passe aujourd’hui, si tant est que ce soit désormais un secret, est dans cette double tactique de M. le président du conseil essayant de créer la solidarité de deux ministères, une tradition ou un partage de responsabilités, et de M. Gambetta, décidé à se laver les mains du passé, à attendre la réunion du parlement pour prendre un parti selon les circonstances. On est jusqu’à présent à deux de jeu, et, dans tout cela, il faut en convenir, les considérations de régularité parlementaire deviennent ce qu’elles peuvent.

Ce qu’il y a de bien clair désormais, c’est que le ministère, sans avoir essuyé une défaite de parlement, sans avoir été vaincu dans les élections, sans avoir eu même le temps de se présenter devant la chambre nouvelle, se trouve conduit à cette extrémité où il n’a plus que le choix de la manière de mourir. Va-t-il décidément se démettre avant la session, comme il en a eu le projet ? Restera-t-il tristement fixé à son poste pour répondre de ses actes, comme on lui en fait l’obligation ? Se résoudra-t-il à cet expédient banal qui consiste à avouer son impuissance par une démission anticipée et à rester un expéditeur provisoire des affaires sans autorité ? C’est toujours, sous des formes différentes, une assez piteuse fin, et, si le ministère en est là, s’il s’affaisse sur lui-même, c’est parce qu’il a vécu de transactions et de confusions, parce qu’il ne représente plus aujourd’hui que les incohérences de gouvernement dont il a donné l’exemple, les fautes dont il va laisser l’embarrassant héritage.

Sans doute plus d’une fois M. le président du conseil s’est flatté d’être au pouvoir le gardien des bons principes, des saines traditions d’état, de représenter ce qu’il a appelé la politique modérée. Il l’a dit avec affectation dans ses discours, surtout quand il s’est trouvé en présence d’auditoires de province, qui aiment peu les agitations et les violences. Il s’est fait un mérite à l’occasion de désavouer les radicaux, les idées et les procédés révolutionnaires. M. Jules Ferry a l’ambition de passer pour un homme d’état correct. En réalité, on n’a jamais bien su ce que c’était que cette politique modérée, qui a toujours parlé de modération dans les discours et qui, en définitive, a passé son temps à apaiser le radicalisme, à laisser le conseil municipal de Paris faire tout ce qu’il a voulu, à introduire l’esprit de secte dans l’enseignement, à chasser des écoles les plus simples emblèmes religieux et même la Bible, à livrer aux passions de parti tantôt l’administration ou la magisi rature, tantôt les intérêts de l’armée ou les garanties libérales. Le ministère, où M. le président du conseil a eu la prétention ae représenter la politique modérée, n’a pas toujours fait, si l’on veut, out ce qu’on lui demandait ; il s’est parfois arrêté à mi-chemin et a eu l’an^ de ne céder qu’à moitié. Il en a fait assez pour introduire l’esprit de désorganisation et de désordre dans une partie de l’administration