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faveur de l’esprit commandant à la matière et se résumant dans la formule du Mens agitat molem. Sa profession de foi n’a qu’un intérêt de curiosité : c’est un petit philosophe comme un petit physiologiste. Les explications banales lui suffisent; non-seulement il s’en contente, mais il s’en réjouit, bien convaincu de l’irréfutable autorité de son argumentation. Un homme qui jongle incessamment avec le mystérieux, l’étrange, l’inexplicable, a quelques droits à ne pas se montrer plus exigeant.

Ces prémisses étaient indispensables. J’aborde maintenant l’exposé des expériences que j’ai avoué tout d’abord n’avoir pas contrôlées. Le récit des faits sera suffisamment instructif pour se prêter à peu de commentaires.

«Ma première tentative faite en vue de provoquer des phénomènes phrénohypnotiques eut lieu à Liverpool, en 1842 ; elle ne réussit pas. Après avoir répété les essais en public ou en particulier avec le même insuccès, je finis par croire que les opérateurs qui prétendaient avoir eu meilleure chance avaient été le jouet de lusus naturœ, dupes de leur patience ou d’eux-mêmes. J’y revins sans me décourager. L’idée mère était qu’en exerçant pendant l’hypnotisme une pression sur des portions différentes du crâne ou de la face, on excitait chez les patiens des idées et des sensations variables suivant le point où avait lieu le contact. Les résultats étaient indécis, sinon contradictoires. J’ai découvert depuis la cause du désaccord ; la faute avait été de ne pas opérer au moment opportun du sommeil artificiel et, depuis lors, le succès a répondu à mon attente. Chez un sujet hypnotisé depuis quelques minutes, j’exerce une légère pression sur les os du nez ; aussitôt le patient part d’un violent éclat de rire qui cesse ou reparaît suivant que je suspends ou que je reprends la pression. Ce brusque passage d’un rire explosif à la gravité ou plutôt à l’absence de toute expression propre aux hypnotisés dépassait toute croyance. La pression sur le menton était immédiatement suivie d’une respiration supérieure. En pressant avec le doigt sur les points du crâne signalés par les phrénologistes comme le siège d’appétits définis, on faisait passer le sujet par toutes les combinaisons de sentiment qu’il plaisait de susciter. Le toucher du point dévolu à la combativité amenait à l’instant une transformation de toute la contenance. De placide l’individu devenait féroce d’esprit ; son visage se colorait, sa respiration était anxieuse, il grinçait des dents et si les bras n’étaient pas en raideur cataleptique, il affectait des gestes menaçans. Le tout s’exécutait sans prononcer une parole, en présence d’un auditoire compétent et sur un homme absolument étranger à toute notion phrénologique ou psychologique. Réveillé, il était absolument ignorant de ce qu’il avait pu faire ou dire pendant le sommeil. »