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députés des états supplièrent le prince de revenir, lui offrant cette couronne ducale qu’il ambitionnait depuis tant d’années. Quand ils étaient venus une première fois, Elisabeth, éprise alors du duc, les avait mal reçus ; cette nouvelle offre, faite dans un pareil moment, répondait à sa secrète pensée. Oubliant sa parcimonie habituelle, elle alla d’elle-même au-devant de la dépense, arma des vaisseaux, ordonna des levées d’hommes ; elle offrit même au duc un subside illimité, sauf à le réduire lorsqu’il ne serait plus là. Affectant en public d’être désolée du départ de son fiancé, elle s’en réjouissait au fond du cœur. Elle l’accompagna néanmoins jusqu’à Cantorbery ; en le quittant, elle lui promit de l’épouser à son retour ; elle versa même quelques pleurs de parade et prit des vêtemens de deuil ; mais, en réalité, elle se sentait tout heureuse d’avoir repris sa chère liberté.

En février, quinze grands vaisseaux jetèrent l’ancre devant Flessingue. Le duc fit son entrée dans la ville ayant à sa droite le silencieux prince d’Orange, à sa gauche le beau Leicester. Le surlendemain, une flotte portant à tous ses mâts des drapeaux et des banderoles, le conduisit triomphalement à Anvers ; revêtu du manteau ducal, que le prince d’Orange avait mis lui-même sur ses épaules, il dut se croire le maître des Pays-Bas ; mais le pouvoir était encore resté tout entier aux mains des états. Une tentative d’assassinat sur le prince d’Orange fut le premier avertissement des malheurs qui allaient suivre. Les troupes anglaises, mal payées, commencèrent à déserter ; une partie passa dans le camp du duc de Parme. Français et Flamands se mesuraient des yeux, la main sur la garde de leur épée. De leur côté, Fervaques et les gentilshommes de l’entourage du duc ne cessaient de lui rappeler le triste exemple de l’archiduc Mathias et de Jean-Casimir, réduits tous deux à quitter honteusement cette terre ingrate ; pour exciter son ressentiment, ils lui mettaient sous les yeux ce pasquil, qui courait les rues :

Monsieur veut tout,
Le prince d’Orange gouverne tout,
Sainte-Aldegonde conseille tout,
Les états traitent tout,
Le peuple paie tout,
Les trésoriers reçoivent tout,
Le diable emporte tout.


Depuis son entrée dans les Flandres, le duc n’avait pas reçu une seule ligne d’Elisabeth ; n’espérant plus rien d’elle, poussé par de funestes conseils, il résolut de s’emparer le même jour des principales