Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 47.djvu/916

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

était. Elle lui répondit que son fils n’avait pas rendu l’anneau et qu’elle n’y attachait pas grande importance. Le pauvre duc continua à passer par toutes les alternatives, allant d’un retour d’espérance au plus complet découragement. Le premier jour de l’an, il échangea avec la reine de splendides présens et figura dans un tournoi où de nouvelles allusions à son mariage lui furent faites. Amené dans la lice sur un chariot en forme de rocher et lié de grosses chaînes, il fut conduit par l’Amour et le Destin aux pieds du trône de sa divinité. Le Destin, en présentant à la reine son royal prisonnier, lui adressa ces vers :

Rendez à ce héros sa chère liberté,
Ou faites qu’oubliant un vœu de chasteté,
Hymen serve vos cœurs.


Le combat dura jusqu’à une heure après minuit. Le duc, adroit et fort, y avait fait merveille ; la reine, pour le récompenser, l’embrassa devant tous à plusieurs reprises ; elle le reconduisit jusqu’à sa chambre et vint le lendemain le trouver au lit. Ce fut comme une reprise d’engoûment.

Le duc était très réservé, s’observait très habilement, mais il n’en était pas de même des Français de sa suite. Fervaques, son nouveau favori, s’étant pris de querelle avec La Fin, le poursuivit, un poignard à la main, jusque dans les appartemens de la reine, qui, très courroucée, dit en pleine cour que, « si c’étoit un de ses sujets, elle lui feroit trancher la tête. » À la fin de janvier, seule avec le duc, dont elle tenait la main dans la sienne, elle lui exprima de sa voix la plus douce sa répugnance à épouser un catholique. Le duc se récria et offrit de se faire protestant, a On ne commande pas à son cœur, lui dit-elle, on ne lui fait pas violence, » et, baissant les yeux, elle lui avoua « qu’elle n’éprouvait plus pour lui la même inclination. » D’une voix altérée, son fiancé lui rappela qu’il avait traversé toutes les angoisses de la passion, donné à tous les catholiques la plus mauvaise opinion de sa personne et qu’il ne s’en irait pas d’Angleterre, voulant plutôt mourir avec elle. « C’est mal à vous, reprit Elisabeth, de menacer ainsi une vieille femme dans son propre royaume ; vous êtes fou et vous tenez le langage d’un fou. » De grosses larmes coulaient des yeux du duc ; lai tendant son mouchoir pour les essuyer, elle le calma avec quelques caresses ; mais c’était bien un congé en règle, un congé définitif.

Les nouvelles de Flandres étaient mauvaises ; le duc de Parme avait mis le siège devant Tournai. Accourus en toute hâte à Londres, les