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cinq mille à cheval, presque tous gentilshommes enrôlés comme volontaires. À leur approche, le duc de Parme leva précipitamment le siège de Cambrai et se replia sur Arlon. Ce premier succès s’arrêta tout court. Les états-généraux ne tinrent au duc aucune de leurs promesses. Aux premiers froids, les nobles volontaires se retirèrent, et, l’argent manquant, une partie de l’armée du duc se débanda et vécut de pillage.

Hors d’état de rien entreprendre, le duc se décida à partir pour l’Angleterre ; Elisabeth était sa dernière ressource. Cette fois, il fut reçu royalement et logé à Whitehall. Il manœuvra si bien qu’il se remit bien vite dans les bonnes grâces d’Elisabeth. Redevenue aussi familière avec lui que lors de son premier séjour, elle ne l’appelait plus que son petit Italien, elle affectait avec lui un sans-façon tant soit peu bourgeois. Si l’on en croit même le très indiscret Vénitien Lippomano, elle lui apportait chaque matin dans sa chambre une tasse de bouillon. Cette intimité compromettante s’affirma de plus en plus : « L’on ne fait aucun doute, dit un contemporain anonyme, que, pour son avancement, le duc n’ait recherché la reine de très près. » Le 22 novembre, jour anniversaire de son couronnement, la reine se promenait, le duc à ses côtés, dans une des longues galeries du château de Greenwich, lorsque Castelnau fit demander à être introduit. Allant à sa rencontre avec une politesse toute française : « Monsieur l’ambassadeur, lui dit-elle, écrivez au roi votre maître que le duc sera mon mari. » Et tirant de son doigt un anneau, elle le passa à celui du duc ; puis, se tournant vers ses filles d’honneur, stupéfaites : « J’ai un mari, dit-elle, vous autres, pourvoyez-vous si vous voulez. »

Ce fut un coup de théâtre ; des courriers partirent dans toutes les directions pour annoncer la grande nouvelle. Illusion bien courte ! le duc retiré, les filles d’honneur se mirent à gémir, à sangloter. L’émotion gagna la reine ; elle se lamenta avec elles. La nuit entière se passa dans les larmes. Au matin, elle vint trouver le duc, elle lui dépeignit ses angoisses, la résistance de son entourage ; trois nuits pareilles la feraient mourir. Atterré, le duc ne trouva pas une parole. Il rentra dans ses appartemens, arracha de son doigt l’anneau fatal et le jeta à terre, maudissant l’inconstance et la légèreté des femmes. Il voulait partir ; c’eût été plus digne, mais Elisabeth le retint, dit le même chroniqueur anonyme, « par de nouvelles démonstrations accompagnées de baisers, privautés, caresses et mignardises ordinaires aux amans. » Le duc, qui s’y laissa encore prendre, ne par la plus de départ.

Le bruit de cette rupture étant venu en France, l’ambassadeur de Toscane, Lorenzo Priuli, vint demander à Catherine ce qu’il en