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lettre d’elle en parlât. Pendant les mois qui suivirent, les choses restèrent dans le même état. Lassé de ces lenteurs, le duc d’Anjou partit pour la Guyenne ; il y allait négocier la paix avec le roi de Navarre, cette paix qu’on a appelée la paix de Fleix et qui allait mettre à sa disposition, pour sa nouvelle expédition des Flandres, une partie de l’armée royale devenue inactive. Enfin le 10 avril, cette ambassade, dont le départ avait été tant de fois remis, prit la mer à Calais ; elle comptait à la fois des hommes d’état et des grands seigneurs ; à leur tête le duc de Montpensier, le comte de Soissons et le maréchal de Cossé. Après une longue suite de fêtes, où Elisabeth s’efforça de rivaliser avec les magnificences de la cour de Catherine, on passa à la discussion des articles du contrat, et l’accord s’étant facilement établi, le jour du mariage fut fixé à six semaines après leur ratification. Un traité d’alliance devait être conclu préalablement avec la France. Cette condition pouvait remettre tout en question ; le mariage servait donc d’amorce pour obtenir la ligue avec la France, qu’Elisabeth désirait surtout ; dans ce dessein, elle envoya Walsingham à Paris.

À sa première audience, Walsingham rencontra une résistance opiniâtre. Craignant de se trouver seul en face de l’Espagne et de supporter ainsi tout le fardeau de la guerre, Henri III voulait, et avec raison, que le mariage précédât la ligue. Catherine n’était pas mieux disposée. Elle dit à Walsingham : « Les Anglais, pas plus que vous, ne veulent des Français dans les Flandres. »

Philippe II s’était emparé du Portugal au détriment des prétendus droits que Catherine s’attribuait comme descendant, par sa mère, de Robert, comte de Boulogne, dépossédé en 1214. Revenant sur une prescription de plus de trois cents ans et ne tenant plus autant au mariage de son fils avec Elisabeth, elle cherchait un terrain de transaction avec l’Espagne. Taxis, l’ambassadeur de Philippe II, qui ne l’ignorait pas, avait insidieusement fait entendre à Gondi, l’introducteur des ambassadeurs, que le roi son maître ne serait pas éloigné de donner une des infantes au duc d’Anjou. Catherine prit trop vite au sérieux cette perfide ouverture et voulut s’en expliquer avec Taxis. Loin d’y faire allusion, le rusé Espagnol se plaignit tout à la fois de ce que le duc se préparait à rentrer dans les Flandres et de ce que « on dressait une armée contre le Portugal et le Brésil. » Catherine répondit : « Le roi mon beau-fils ne m’estimeroit pas si je renonçois à ce qui m’appartient ; d’ailleurs, mon fils d’Anjou n’est pas tel qu’on en fasse ce qu’on veut. » En effet, sans tenir compte des représentations du roi son frère et des conseils de sa mère, dans les premiers jours d’août, le duc franchit de nouveau la frontière avec douze mille hommes de pied et