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l’avez rencontré à la porte de votre chambre, n’ayant que votre seule chemise et votre manteau de nuit, et vous l’avez laissé entrer, et il est demeuré avec vous près de trois heures. » « Ces amoureuses conférences ont duré huit jours, écrit naïvement Castelnau à Catherine. La dame a eu beaucoup de peine à entretenir le duc, étant prise et vaincue d’amour ; elle m’a dit qu’elle n’avoit jamais trouvé homme de qui le naturel et les actions lui revinssent mieux. Elle m’a prié d’écrire à Votre Majesté de ne pas trop châtier le duc pour la grande folie qu’il a faite de tant se hasarder pour venir voir une femme de si peu de mérite. »

Le duc était-il vraiment sous le charme, ou bien, élevé à l’école de Catherine, jouait-il la passion ? Villeroy, qui le vit au retour, écrivait à Castelnau : « Il me semble qu’il a rapporté de ce pays-là, en sa contenance et en son visage, un certain air qui le rend plus agréable. » Pour maintenir Elisabeth dans les tendres sentimens qu’elle lui avait témoignés, il lui écrivait des lettres suffisantes, dit Castelnau, « pour allumer le feu dans l’eau. » Des deux côtés on était aux douces promesses, aux décevantes illusions ; mais en même temps se manifestait en Angleterre une vive opposition à ce projet de mariage, et les églises retentissaient d’allusions hostiles ; des pamphlets malveillans circulaient de main en main. Le plus violent de tous fut l’œuvre d’un nommé Jean Stubbes, professeur de droit à Lincoln. Le titre seul était une insulte : le Gouffre qui doit engloutir l’Angleterre par le moyen du mariage de France. Le duc d’Anjou y était bafoué, la France insultée. Elisabeth ne se contenta pas de faire imprimer la défense du duc ; exhumant une vieille loi du temps de Marie Tudor contre les auteurs d’écrits séditieux, elle déféra à la justice Stubbes, l’imprimeur Singleton, et l’un des distributeurs. La punition fut terrible ; tous trois furent condamnés à avoir la main tranchée ; Singleton seul eut sa grâce. L’échafaud fut dressé sur l’une des places de Londres. À l’aide d’un coutelas et d’un marteau, le bourreau coupa la main droite de Stubbes ; le supplicié se redressa et de sa main gauche, levant son chapeau en l’air, il s’écria : « Vive la reine ! » Le peuple qui remplissait la place resta immobile et silencieux, mais la haine contre la France, qui se lisait sur tous les fronts, s’en accrut encore.

Au milieu de décembre, Simier ayant enfin obtenu la signature des conditions arrêtées avec les conseillers d’Elisabeth, alla droit à Alençon, n’y séjourna que peu de jours et revint à Paris rendre compte à Henri III des résultats de sa mission. Il avait été convenu qu’une ambassade extraordinaire serait envoyée à Londres pour faire la demande officielle, avec cette réserve toutefois qu’Elisabeth fixerait la date de son départ. Le mois de mars se passa sans qu’aucune