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Pendant cette longue agonie, le duc d’Alençon, craignant de plus en plus pour sa propre vie, supplia le docteur Dâle d’implorer le secours de la reine Elisabeth. Il fallait beaucoup d’argent pour corrompre ses gardes, il en manquait. Elisabeth entendit son cri de détresse : « Il faut à tout prix, écrivit-elle à Walsingham, que le duc soit préservé ; mais qu’on agisse avec prudence, car la moindre faute pourrait lui être fatale. » Les forces du royal malade déclinaient à vue d’œil ; la nuit du 29 au 30 mai fut affreuse ; à la pointe du jour, dans cette chambre marquée par la mort, Catherine, assise sur un coffre, dictait l’acte qui lui conférait la régence. Le roi le signa d’une main affaiblie, puis il fit approcher près de son lit le prince de Navarre et l’entretint longuement ; il n’eut que quelques froides paroles pour le duc d’Alençon. À deux heures après-midi, il expirait à l’âge de vingt-quatre ans.

C’est seulement le 27 août que Catherine prit la route de Lyon pour aller à la rencontre d’Henri III, parti le même jour de Turin. Elle n’avait plus à surveiller le duc d’Alençon et le prince de Navarre, les ayant mis tous deux sous la garde des beaux yeux de Mme de Sauves, sa dame d’atours et la petite-fille du surintendant des finances, Jacques de Semblancay, pendu sous François Ier. Un contemporain a dit de Mme de Sauves : « Elle alloit coucher d’un parti à un autre, la plus accorte, la mieux parée et attifée, ayant presse aux plus grands à qui l’accosteroit de plus près. » — « Nos premières haines, dit un jour Henri IV à Sully en parlant du duc d’Alençon, viennent de cette femme ; elle me témoignoit de la bonne volonté et le rabrouoit toujours devant moi, ce qui le faisoit enrager. » Henri IV avait l’étrange illusion de se croire seul dans les bonnes grâces de la dame ; le duc d’Alençon était aussi au mieux avec elle, et si les deux beaux-frères, se jalousant, devinrent et restèrent ennemis, cette Circé, comme l’appelle Marguerite de Valois, était en même temps recherchée par Duguast, Souvré et le duc de Guise, tous plus aimés d’elle que les deux princes rivaux.

Lord North, envoyé par Elisabeth pour complimenter le nouveau roi, Henri III, rejoignit la cour à Lyon. Un grand bal y fut donné en son honneur. Assis à la droite de Catherine, il suivait des yeux Marguerite de Valois, qui « menoit un branle avec le duc d’Alençon » et ne tarissait pas en éloges sur son éblouissante beauté, alors dans tout son éclat. Tout en écoutant lord North, Catherine lui fit remarquer le duc d’Alençon : « Ne trouvez-vous pas, lui dit-elle, qu’il n’est point si laid ni si difforme qu’on veut bien le dire ? » Lord North en convint et loua même la façon toute gracieuse dont le duc dansait. « Il n’a pas tenu à nous, reprit Catherine, que le mariage avec votre maîtresse ait eu lieu. » La réponse de l’ambassadeur fut que le dernier mot n’en était pas dit. Encouragée par cette bonne