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Coligny n’était pas d’ailleurs si sincèrement ami des Anglais ; dans son testament, daté de La Rochelle, il lui avait recommandé d’abaisser l’Angleterre et l’Espagne. « C’est son éloge, répliqua Walsingham, que Votre Majesté vient de l’aire. » Ce dernier mot mit fin à l’entretien.

Après de telles paroles échangées, de telles défiances, si ouvertement manifestées, on aurait lieu de s’étonner de voir Elisabeth faire écrire par Smith à ce même Walsingham qu’elle ne se refuse ni à la continuation des propos de mariage, ni à une entrevue, si on n’en trouvait l’explication dans la nouvelle attitude prise par le duc d’Alençon. Non-seulement il n’avait pas trempé dans la Saint-Barthélemy, mais il la blâmait hautement. Le 21 septembre, il était venu s’en entretenir avec Walsingham. Il avait été plus loin encore : de concert avec le prince de Navarre, il s’était uni étroitement aux protestans et leur avait promis par écrit de venger la mort de Coligny, et ce qui est plus grave, il avait conçu le projet de s’échapper de la cour et de se réfugier en Angleterre. Un vaisseau croisait en vue du Havre, et, voulant préparer sa fuite, il avait fait partir pour l’Angleterre un de ces personnages équivoques, comme on en rencontre dans les époques troublées. Cet agent se nommait Maisonfleur ; après avoir servi sous les ordres du duc de Guise en Italie, il s’était fait protestant. À son arrivée à Londres, à la fin de décembre, il s’annonça comme l’envoyé du duc, et à ce titre, sollicita une audience d’Élisabeth, qui refusa de le recevoir. C’était l’heure fixée pour la fuite du duc. Maisonfleur alla à Douvres, où il l’attendit quatre jours entiers. Le duc ne put partir, ou recula, ce qui semble plus probable. À son retour de Douvres, Maisonfleur fut enfin reçu par Elisabeth. Dans une longue lettre au duc d’Alençon auquel il donne le nom de don Lucidor, il lui fait entendre que la reine n’est pas éloignée de l’épouser, mais qu’elle ne veut pas passer par les mains de Madame la Soupente, c’est ainsi qu’il appelle Catherine de Médicis. Sur ces entrefaites, Castelnau de Mauxissière arrivait à Londres pour reprendre officiellement la négociation du mariage. Maisonfleur adjura de nouveau le duc de monter à cheval et de gagner le Havre, où le vaisseau anglais l’attendait encore. Il écrivit également à La Môle pour y déterminer le duc sans pouvoir y parvenir.

Pour le mariage, l’obstacle le plus difficile à surmonter, — Maisonfleur l’avait bien compris, — était l’idée peu avantageuse qu’Elisabeth avait du physique de son prétendant ; il fallait l’en faire revenir, Maisonfleur le tenta. Voici le portrait qu’il fit du duc d’Alençon : « Le duc doit être de ma hauteur, la taille fort belle, le visage aucunement gâté par la petite vérole ; car, madame, nous tenons en France pour une règle générale, même à l’endroit