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silence. Elisabeth en grand deuil s’avança de quelques pas vers lui, son visage était sévère ; d’une voix brève, elle lui demanda si les étranges nouvelles venues de France étaient vraies. La Mothe répondit que la soudaineté du danger n’avait pas laissé au roi une heure de réflexion ; une nécessité extrême l’avait contraint de sacrifier la vie de Coligny pour sauver la sienne. Elle répondit qu’elle souhaitait que l’amiral et les siens fussent plus coupables encore, afin de justifier un pareil massacre. La Mothe plaida les circonstances atténuantes ; il nia la préméditation, il affirma que la religion n’y était pas mêlée, et finit par demander que l’amitié entre les deux couronnes n’en fût pas diminuée. La reine répondit qu’elle craignait bien que ceux qui avaient fait abandonner au roi les protestans ne lui fissent également abandonner son amitié. En sortant de l’audience, La Mothe vit les ministres d’Elisabeth. Les reproches les plus violens lui furent adressés « pour un acte trop plein de sang. »

Au lendemain de la Saint-Barthélémy, un seul homme en Europe ne se méprit pas sur Catherine, ce fut le duc d’Albe, Il fit comprendre à Philippe II, qui, dans la première explosion de sa joie, rêvait une ligue catholique et l’extermination des protestans, que Catherine reprendrait immédiatement la négociation du mariage de son fils avec Elisabeth. Il ne se trompait pas. Le 1er  septembre, elle vit Walsingham ; sans revenir sur le terrible événement, sans chercher à le justifier, elle lui dit que le roi son fils, étant débarrassé du chef, maintiendrait l’édit et laisserait à chacun sa liberté de conscience. Elle ne fit aucune allusion au projet de mariage ; elle avait laissé à Castelnau de Mauvissière le soin d’en reprendre le propos. C’était un homme modéré et conciliant, il n’avait pris aucune part à la Saint-Barthélemy. Dans les circonstances présentes, Walsingham, qui était loin de s’attendre à une pareille ouverture, répondit à Castelnau que les cruautés dont il venait d’être témoin « ne donneraient guère courage, et qu’il doutait même qu’on eût encore l’intention d’un mariage. » Castelnau lui dit que le meilleur moyen d’éclaircir ses doutes, c’était de s’en expliquer avec la reine mère. Walsingham y consentit, et jour fut pris pour une entrevue.

En abordant Walsingham, Catherine lui exprima son regret de le voir ainsi suspecter sa sincérité, car il pourrait faire naître les plus grands obstacles à l’union qu’elle désirait ; elle le pria donc de formuler ses doutes. Le massacre des protestans ne les justifiait que trop ; sans y appuyer, il rappela à Catherine que la principale garantie d’une alliance avec l’Angleterre était la tolérance promise et jurée aux protestans, tolérance aujourd’hui foulée aux pieds. Il parla de l’entrevue de Bayonne, des desseins sinistres qu’on y avait arrêtés avec le duc d’Albe. Catherine s’emporta, elle prétendit que c’était une des inventions de Coligny pour lui faire des ennemis.