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se livrer sans crainte à ses passions que l’athée rejette Dieu ; et au XVIIe siècle, en effet, l’athéisme des gentilshommes n’était souvent que le véhicule du libertinage. Mais attribuer un tel motif à tel penseur que chacun peut nommer, ce serait se couvrir d’un tel ridicule qu’un apologiste tel que M. Ollé-Laprune a bien soin de ne pas tomber dans cet excès, mais il n’y échappe pas tout à fait. Il parle de « passions subtiles et délicates, d’invisibles faiblesses, de secret orgueil. » Est-il bien sûr qu’il n’y ait pas autant d’orgueil d’un côté que de l’autre? Il parle ailleurs « d’indifférence à chercher la vérité. » Peut-on imputer à un Bruno, à un Vanini, qui meurent sur le bûcher, l’indifférence pour la vérité? Il parle des difficultés soulevées par « une demi-science. » Peut-on dire que les objections d’un Kant ou d’un Spinoza viennent d’une demi-science ? Ce sont cependant ces objections qui font les athées de notre temps.

On s’étonne aussi qu’un philosophe aussi clairvoyant, qui déclare courageusement que l’athéisme est un péché, ait oublié de nous dire clairement ce qu’il entend par athéisme, comme si la question ne valait pas la peine d’être examinée. Il n’est pas cependant un philosophe qui ne sache combien l’expression d’athéisme est difficile à définir et combien il y a peu de doctrines qui puissent être rigoureusement appelées de ce nom. Même le baron d’Holbach, quand il parle de la nature, lui prête des attributs qui sont pour la plupart les attributs de la divinité. L’idée de Dieu se compose, comme on le sait, de deux sortes d’attributs : les attributs métaphysiques et les attributs moraux. Certains philosophes sacrifient les attributs moraux aux attributs métaphysiques; le sens commun et la croyance populaire sacrifient volontiers les attributs métaphysiques aux attributs moraux. Y a-t-il plus d’athéisme d’un côté que de l’autre? En un sens, le polythéisme n’était-il pas athéisme? Spinoza et Hegel sont-ils des athées pour avoir considéré la personnalité divine comme incompatible avec l’essence de l’infini et de l’absolu? Quand on sait par l’étude journalière de l’histoire de la philosophie combien ces délimitations sont délicates et difficiles, on se demande où est le point où l’on devient véritablement coupable.

Je suis bien loin de nier qu’il n’y ait un athéisme fanatique aussi intolérant et aussi intolérable que le fanatisme religieux. Mais c’est en tant que fanatisme qu’une telle opinion est répréhensible, ce n’est pas en tant qu’athéisme. Je ne sais d’ailleurs ce que notre auteur aurait à répondre à un tel athéisme; car il s’appuie précisément sur la même raison que lui : c’est que l’on ne peut croire soi-même quelque chose de vrai sans l’imposer aux autres. Toute résistance à la vérité ne peut venir que de mauvaises passions, de mauvaises intentions. On impute les croyances religieuses à l’hypocrisie, à la