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à un préjugé aussi absurde? Laissons donc ces raisons extérieures. La foi peut être une des nécessités pratiques de notre existence : mais la vérité ne relève que de la raison.

Selon M. Ollé-Laprune, la foi consisterait à affirmer plus qu’on ne voit, « avec de bonnes raisons de croire. » Que voulez-vous dire? Qui parle de ne jamais affirmer que ce qu’on voit? Est-ce que les géologues, qui affirment que l’Océan a été sur les Alpes, l’ont vu de leurs yeux ? Est-ce que les historiens ont vu la mort de César? Est-ce que je vois votre pensée? Et cependant, dans tous ces cas, je ne fais qu’appliquer les règles les plus élémentaires de la logique sans que ma volonté y soit pour rien. Vous dites qu’il faut « de bonnes raisons » pour croire. Qu’entendez-vous par bonnes raisons? sont-ce des raisons suffisantes? Dès lors, il s’agit de connaissance et non pas de croyance, Sont-ce des raisons insuffisantes? Alors elles ne sont pas tout à fait bonnes. Si je n’affirme que dans la mesure de ces raisons, je ne fais rien de plus que ce qu’autorise et exige la logique, et il n’y a rien là qui puisse s’appeler foi dans le sens propre du mot. Si j’affirme au-delà, je puis avoir raison au point de vue pratique; car, ainsi que le dit Voltaire, « il faut prendre un parti; » mais je cours un risque, car je puis me tromper, précisément dans la proportion de ce que j’ajoute de mon propre mouvement à ce que les raisons me donnent. M. Ollé-Laprune reconnaît que c’est là une faiblesse; « mais, dit-il, c’est une heureuse faiblesse, puisqu’elle rend possible la confiance, « et qu’elle rend « la confiance plus méritoire, » Mais, encore une fois, vous sortez de la question : vous parlez de l’efficace de la foi, du mérite de la foi quand il s’agit de certitude et de vérité. S’il y a un Dieu, sans doute j’aurai du mérite auprès de lui de l’avoir cru sans preuves suffisantes ; cette confiance est belle, mais elle ne fait pas qu’il y ait un Dieu, et elle ne peut rien ajouter aux raisons qui le démontrent. Nous ne contestons nullement la nécessité pratique de la foi; mais, nous plaçant au point de vue rigoureusement philosophique, nous nous demandons en quoi le désir et l’espérance peuvent décider du vrai et du faux.

En résume, la croyance n’est pas, selon nous, un acte essentiellement différent de la connaissance. C’est une induction, mais une induction incomplète et imparfaite à laquelle nous nous décidons par nécessité pratique et sous l’empire d’un sentiment légitime. La croyance court toujours quelque risque; elle n’offre jamais qu’une certitude insuffisante au point de vue absolument strict; mais ce risque, nous consentons à le courir, parce que nous y sommes obligés par la nécessité et parce que c’est un beau risque à courir, comme dit Platon. Mais ce n’est pas là ce qu’on peut appeler certitude dans le sens propre du mot.