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montré une végétation forestière bien distincte de celle que nous avons maintenant sous les yeux.

Les espèces de cette dernière association végétale, lors du quaternaire, ont décidément pris possession du sol. Les linéamens principaux de leur distribution géographique actuelle se trouvent arrêtés dans ce qu’ils ont d’essentiel. Plus d’espèces éteintes, mais des combinaisons assez différentes des nôtres pour attester à la fois une plus grande douceur de température, une plus grande uniformité et une humidité plus prononcée du climat.

Nous sommes loin, on le voit, de ces rigueurs excessives dont on a si complaisamment doté le climat de l’Europe quaternaire. E. Lartet, cet observateur si sagace, avait exprimé, il y a des années, la même pensée[1] en affirmant que le développement des milliers de générations successives de ces mammifères qui peuplent encore l’Europe et le maintien des mollusques les plus fragiles à travers les périodes quaternaires excluaient pour celles-ci toute idée de crise violente. — L’apparition de l’homme à ce même moment n’était-elle pas d’ailleurs à elle seule une preuve qu’aucun froid intense n’était venu coïncider avec cette première extension de la race humaine, auparavant inconnue ou absente du moins de nos contrées ?

Il suffira de quelques exemples pour montrer que plusieurs espèces, au début du quaternaire, ont déjà pris possession du sol de la région que leur présence continue à caractériser. Nous avons reçu de Canstadt le chêne « à glands sessiles » qui domine encore dans les bois de l’Europe centrale. — En Provence, c’est le chêne « pubescent » qui est le plus fréquent dans les tufs de ce pays. Alors, comme maintenant, il peuplait le midi de la France. En Provence encore, c’est l’érable « à feuilles d’obier » que l’on rencontre, tandis que l’érable « sycomore » abonde dans les tufs de la Celle, près de Moret, exploités par M. Chouquet, et qu’il reparaît dans ceux de Canstadt. Cette distribution est conforme à celle qui existe de nos jours, puisque l’érable « à feuilles d’obier » habite le Dauphiné, la Provence, l’Italie et qu’il s’étend jusqu’en Espagne et en Algérie, tandis que l’érable « sycomore » peuple le centre et le nord de l’Europe, s’avançant même jusqu’au cœur de la Suède. — Ainsi l’ordre actuel préside déjà à la distribution de la flore quaternaire. Cependant certaines espèces, et ce sont justement celles qui exigent une température tiède, sinon chaude, remontent à ce moment bien plus loin vers le nord, au-delà de leurs limites actuelles, et depuis, elles ont été obligées d’émigrer et de rétrograder: ce sont avant tout le laurier et le figuier, dont M. Chouquet a retiré

  1. Comptes-rendus de l’Académie des sciences, 1858, t. XXXXVI, p. 409.