Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 47.djvu/819

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

suggérer l’idée au gouvernement néerlandais et de lui promettre au besoin notre appui contre toute prétention de l’Allemagne ; cette promesse, disait-il, ne nous engagerait à rien, car personne à Berlin ne songeait à violenter la Hollande.

Le langage que tenait le président du conseil à notre ambassadeur n’était pas nouveau, mais jamais il n’avait été aussi précis ni plus encourageant. Il restait à se demander s’il était exempt d’arrière-pensée. « Je vous rapporte ce qui m’a été dit, écrivait M. Benedetti, mais en notant que M. de Bismarck pourrait bien, s’il y était contraint par les circonstances, ne plus s’en souvenir. Je ne suis pas moins d’avis, ajoutait-il, que nous devons en faire notre profit et agir à La Haye. « Il passait ainsi alternativement du doute à la confiance ; il conseillait d’agir, tout en recommandant de se méfier. Il savait par de récentes expériences ce qu’il en coûtait de s’engager avec le ministre prussien sans être prémuni par « quelque chose d’écrit. » Aussi, pour prendre acte des paroles de M. de Bismarck, suggérait-il à M. de Moustier l’idée de résumer ses déclarations dans une lettre qu’il lui adresserait. Cette lettre, il se chargerait de l’envoyer au président du conseil sous enveloppe avec un billet motivé. Il pensait sans doute que les communications écrites ne se renient pas aisément, même quand on se borne à les recevoir. Il espérait par là lier M. de Bismarck, en faire en quelque sorte notre complice, et le forcer malgré lui de nous frayer les voies et de ramener son souverain.

Le moyen imaginé par l’ambassadeur témoignait d’une ingénieuse et vigilante défiance ; il restait à savoir si M. de Bismarck s’y laisserait prendre. M. Benedetti lui prêtait une mémoire complaisante qui se fortifiait et s’affaiblissait suivant les circonstances ; comment sortirait-elle de l’épreuve ? serait-elle fidèle ou défaillante ? Tout dépendait du degré de sa sincérité. L’épreuve avait ses avantages, mais elle avait aussi ses inconvéniens. Il est toujours dangereux de mettre au pied du mur les gens avec lesquels on a à compter. Le doute peut provoquer des mouvemens d’indignation calculée et compromettre les affaires au lieu de les avancer.

M. de Moustier s’empressa de déférer au désir de l’ambassadeur. Il paraphrasa dans sa réponse les déclarations qu’il avait recueillies de la bouche du président du conseil. Elles étaient d’ailleurs conformes au langage qu’on lui tenait à Paris. M. de Goltz nous engageait à aller vigoureusement de l’avant ; il nous disait que, sauf les hésitations du roi, les dispositions étaient excellentes à Berlin et que le prince royal, qui soupçonnait nos pourparlers sans toutefois les connaître exactement, reconnaissait qu’un arrangement avec la France était le seul moyen de conjurer la guerre : M. de Moustier