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certitude, mais elles n’en étaient pas moins symptomatiques ; elles auraient dû impressionner, et elles méritaient d’être contrôlées alors qu’on s’engageait dans une aventureuse négociation. Mais déjà, dans les derniers jours du mois de janvier, le gouvernement impérial était entré dans la voie que M. de Bismarck lui avait recommandée « comme étant la plus courte et la plus sûre » pour vaincre les hésitations de son roi. Il avait organisé dans le Luxembourg :, sous l’inspiration de M. de Saint-Paul, le secrétaire-général du ministère de l’intérieur, un réseau d’informations et un centre de propagande ; on voyait apparaître dans le grand-duché des Français de toutes qualités, des administrateurs et des employés de chemin de fer, des banquiers, des officiers et jusqu’à des touristes que n’effrayait pas l’hiver. Ils avaient pour mission de faire comprendre à des populations habituées à passer de Charybde en Scylla combien leur situation était précaire et à leur démontrer les avantages de tout genre qu’elles tireraient d’une réunion définitive à la France, li est juste de dire qu’ils n’avaient pas grande éloquence à dépenser pour les convertir, leurs sympathies nous étaient acquises. Le gouvernement luxembourgeois, et surtout le prince Henri, le lieutenant du roi, suivaient d’un œil inquiet et mécontent cette invasion d’un genre nouveau, qu’on aurait pu appeler plébiscitaire. Ils s’en plaignaient à La Haye et donnaient l’ordre à leur chargé d’affaires à Paris de demander instamment au gouvernement français de refréner le zèle de ses agens officieux et de ne pas leur permettre d’agiter le pays. Il en résultait pour M. de Lichtenfeld, qui représentait à la fois la Hollande et le grand-duché, une situation fort étrange. Il changeait de langage et d’habit, préconisait e.t combattait l’annexion suivant les instructions qu’il recevait soit de La Haye, soit du Luxembourg.

À la date du 18 février, M. de Moustier apprenait à M. Benedetti qu’on commençait « à mettre les fers au feu » dans le grand-duché et que déjà l’on constatait que les dispositions locales nous étaient favorables. Il lui développait ainsi son plan de bataille. « M. Baudin, écrivait-il, verra d’abord le ministre des affaires étrangères, il tâchera de l’amener à proposer un traité d’alliance avec la Hollande, conçu dans le genre de celui que la Suède a fait avec nous lors de la guerre d’Orient, Cette idée plaît beaucoup à l’empereur, qui y verrait la contre-partie de la Confédération du Nord. Si le gouvernement néerlandais y mettait une ardeur suffisante, on y puiserait un nouvel argument pour la cession immédiate du Luxembourg. Le conseil que M. de Bismarck nous a fait parvenir à cet égard expliquera nos démarches, et s’il en transpire quelque chose, il sauvera les apparences. Nous engageons, en outre,