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la suite des désastres de la campagne russo-turque, rien ne serait, non-seulement plus naturel, mais plus sage. Il est certain que les élémens de révolte se sont développés d’une manière inquiétante dans le monde arabe. Le mouvement autonomiste qui s’est produit en Syrie et que le rappel de Midhat-Pacha n’a pas complètement fait cesser, est à coup sûr fort dangereux pour l’empire ottoman. Il en est de même des excitations religieuses qui partent de la Mecque. qu’Abdul-Hamid s’en préoccupe, qu’il tâche de conjurer des périls aussi graves, c’est son devoir de souverain, et ceux-là seuls qui désirent s’emparer de ses dépouilles peuvent vouloir l’empêcher de le remplir. Mais, au lieu de s’en tenir à des mesures de précaution et de conservation personnelles, il rêve de profiter des circonstances pour étendre sa puissance et regagner au moyen de l’agitation islamique ce qu’il a perdu comme souverain de la Turquie. Le mouvement unioniste étant dirigé contre lui, il aurait dû le combattre par tous les moyens ; il a trouvé plus habile de le prendre sous son égide, de s’en déclarer le chef et de tenter de l’exploiter. Des centaines de cheiks, expédiés par lui, traversent les contrées musulmanes, affirmant la solidarité des peuples de l’islam et la nécessité de leur coalition en présence de la chrétienté qui les menace dans leur patriotisme et dans leur foi. L’idée du panislamisme compte d’innombrables apôtres dont les prédications ardentes sèment partout la haine de l’Europe et des chrétiens. À la vérité, cette propagande, si active qu’elle soit, fait peu de prosélytes parmi les chefs arabes. L’alliance musulmane universelle les trouve fort tièdes, depuis qu’elle est préconisée, au nom du calife, comme un devoir envers le sultan. Elle ne flatte plus leurs désirs d’indépendance, puisque l’œuvre qu’on leur propose de seconder doit tourner au profit de la domination turque qu’ils détestent, au lieu d’aider à l’affranchissement dont elle avait d’abord ravivé en eux l’espérance. Il est donc inévitable que les projets d’Abdul-Hamid échouent auprès d’eux. On peut être parfaitement sûr d’avance qu’ils ne s’y associeront jamais en masse. Peut-être verrons-nous une ligue africaine ou une ligue asiatique, nous ne verrons certainement point une ligue islamique. Lorsque les journaux de Constantinople affirment que cette dernière frappe le monde chrétien de terreur, ils se trompent, car il n’y a pas un chrétien un peu au courant des choses d’Orient qui ne sache qu’elle n’existe qu’à l’état d’illusion dans l’esprit du sultan. Mais cette illusion impose à la Turquie une politique déplorable qui peut précipiter sa ruine et qui, par suite, est réellement de nature à inspirer de graves préoccupations.