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s’efforçant de s’en servir pour seconder sur la côte arabique de l’Océan indien et sur le littoral méridional du golfe Persique le progrès toujours croissant de l’influence anglaise, en attendant le jour prochain où il lui serait possible d’en tirer un parti plus efficace encore en Syrie.

On s’explique sans peine qu’Abdul-Hamid ne soit pas resté indifférent à une campagne qui, bien que purement religieuse en apparence, entraînerait pour lui, si elle venait à réussir, des conséquences politiques d’une gravité exceptionnelle. Le danger est assurément des plus sérieux, car la doctrine que le sultan n’est pas calife est aujourd’hui fort répandue dans les masses musulmanes. Elle compte des défenseurs qui jouissent en Turquie même d’une grande autorité. Kérédine-Pacha l’a soutenue dans un livre dont les exemplaires répandus à Constantinople ont été saisis et brûlés. Les déductions pratiques qu’il en a tirées l’ont rendue singulièrement suspecte à Abdul-Hamid. S’appuyant sur les textes sacrés, Kérédine a été jusqu’à soutenir que les ulémas et les ministres auraient le droit de déposer le souverain, si celui-ci, « après remontrances, persistait à violer la loi et à suivre ses caprices. » Affirmation audacieuse que le sultan n’a certainement pas oubliée, et qui est probablement le véritable motif pour lequel, tout en continuant à flatter leur auteur d’espérances ambitieuses, il n’a pas plus de confiance dans les projets de réformes de Kérédine que dans ceux de Midhat ! Aux argumens des lettrés Abdul-Hamid a répondu par des argumens du même genre. C’est Munif-Effendi, dont la science théologique est fort en renom dans le monde turc, qui a été chargé de cette besogne, et il s’en est acquitté en écrivant sur l’institution du califat, sur ses obligations, sur ses devoirs, un mémoire qui justifiait les droits de la famille d’Othman et qui, s’il n’a convaincu que ceux qui n’avaient pas besoin de conviction, a du moins valu à son auteur d’être récompensé pour un ministère. Cette guerre de plumée a été accompagnée d’une campagne plus sérieuse. Le promoteur de l’opinion hétérodoxe, qui était en même temps un grand ami des Anglais, le chérif Husni, a péri, comme je l’ai dit, dans un assassinat encore inexpliqué. On a généralement regardé sa mort comme la déclaration de guerre du sultan aux partisans de la séparation de son pouvoir politique d’avec la suzeraineté religieuse de l’islam. À l’époque où elle s’est produite, Abdul-Hamid connaissait mal les manœuvres de M. Layard. L’ambassadeur anglais avait grand soin de déguiser ses projets personnels sous d’habiles flatteries, toujours couronnées de succès. Aussi le sultan ne résistait-il à aucune de ses demandes. Pour la première fois cependant il a fait acte d’hostilité vis-à-vis de lui en refusant de nommer, à la place du chérif Husni, son frère, le chérif Adun, et en désignant