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trop crédule pour ne pas s’y associer ; dans tous les cas, il était trop habile pour ne pas essayer d’en profiter en le dirigeant, de se mettre à sa tête pour l’exploiter.

Ce qui a contribué à pousser plus activement Abdul-Hamid dans la voie de la réaction religieuse où la haine de l’Europe l’entraînait déjà, c’est la crainte que cette réaction ne se tournât contre lui s’il ne réussissait pas à en devenir le maître. À la suite des défaites qui avaient marqué les commencemens de son règne, un mécontentement général s’était emparé des populations de son empire. Un sultan vaincu, obligé de céder ses plus belles provinces aux chrétiens, condamné à s’humilier devant ses propres sujets, abandonnant la terre de l’islam à des mains infidèles, portant la responsabilité de tous les malheurs de la patrie et de la religion, dont chacun faisait remonter jusqu’à lui l’origine, pouvait bien conserver la soumission des Turcs, dont le dévoûment fataliste et d’ailleurs intéressé résiste aux plus cruelles épreuves ; mais il devait immanquablement perdre l’attachement et le respect des Arabes. Ceux-ci ont toujours eu pour la Turquie des sentimens assez hostiles. Après tout, ils ont été conquis par elle tout aussi bien que les Grecs ou les Bulgares, et si la communauté des croyances religieuses n’a pas permis qu’il s’élevât entre le vainqueur et le vaincu ces insurmontables barrières qui séparent la Turquie des populations chrétiennes sur lesquelles elle a également étendu sa domination, néanmoins la différence des caractères, des esprits, des génies nationaux n’a pas permis non plus l’assimilation complète des Arabes et des Turcs. Les Arabes de l’Hedjaz, de l’Yemen, de l’Hadramaout, de l’Oman, du Nedjed, trop éloignés de Constantinople pour souffrir du joug ottoman, mènent une vie tout à fait libre et se bornent à reconnaître en théorie au sultan une autorité de calife fort contestée dans la pratique, mais qui est bien loin d’avoir pour conséquence une sujétion politique quelconque. Quant aux Arabes de Damas, de la Palestine et de Bagdad, la proximité de l’Egypte, qui est une vice-royauté quasi indépendante, l’existence d’une autonomie spéciale pour le Liban, le souvenir des époques nombreuses où la Syrie s’est constituée en pays séparé et a joui d’une existence particulière, tout cela contribue à entretenir en eux des aspirations nationales auxquelles les défaites de la Turquie ont donné un grand essor. Ces derniers avaient fourni au sultan la plus grande partie de ses contingens. Lorsqu’on les avait conduits à la guerre, on leur avait dit qu’ils allaient combattre pour l’islam et qu’Allah leur accorderait certainement la victoire. On avait surchauffé leur fanatisme par les plus brillantes promesses. Arrivés sur les champs de bataille, on les avait sacrifiés aux fantaisies stratégiques de Constantinople. À la veille de recueillir les fruits de leurs efforts, ils les avaient perdus, non par l’incapacité de leurs