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le cheik-ul-islam. Pendant quelques mois, on a vu ce spectacle extraordinaire des autorités spirituelles de Constantinople réduisant l’islamisme à ses termes les plus simples, élaguant de la doctrine toutes les superstitions, tous les préjugés, toutes les légendes qui l’ont corrompue, la ramenant à quelques dogmes essentiels nullement contraires à la raison humaine, enfin et surtout limitant son action et l’excluant formellement du domaine de la politique. Lorsque Midhat-Pacha exilé, vaincu, déjà tombé du haut de ses illusions, tâchait de démontrer aux positivistes de Paris que l’islamisme était la religion la plus rationnelle, la plus logique, la moins surnaturelle qui eût jamais existé, il se trompait assurément, s’il voulait parler de l’islamisme de la tradition et de l’histoire, mais s’il voulait faire allusion à l’islamisme passager dont il avait été le docteur et le prophète malheureux, il était dans le vrai : il aurait dû seulement ajouter que cet islamisme n’avait vécu qu’un jour et n’avait jamais eu qu’un nombre infime de sectateurs.

Les circonstances qui avaient permis à Midhat-Pacha et à ses amis d’entreprendre la révolution avortée dont je viens de chercher à dégager l’esprit ont été, en effet, aussi courtes qu’elles avaient d’abord été propices. Le successeur d’Abdul-Aziz, l’infortuné Mourad, était trop doux de caractère et déjà trop faible d’esprit pour avoir une pensée personnelle ; il laissait toute initiative aux hommes qui l’avaient mis sur le trône : qu’il fût calife en même temps que sultan, que les deux pouvoirs se confondissent sur sa tête frappée par la fatalité, qu’il portât à la fois la tiare et la couronne ou qu’on ne lui laissât qu’une autorité diminuée dont il n’aurait jamais eu d’ailleurs que l’apparence, peu lui importait. Tourmenté de visions terribles, ébranlé par des secousses trop fortes pour son tempérament débile, atteint peut-être de remords, visité, en tout cas, par des craintes incessantes, son intelligence naturellement médiocre s’éteignait peu à peu. Bientôt, il ne fut plus possible de dissimuler au peuple l’état d’imbécillité dans lequel était tombé cette ombre de souverain. Le successeur de Mourad, Abdul-Hamid, ne lui ressemblait en aucune manière et devait avoir des destinées très différentes des siennes. Ce n’est pas encore le lieu de faire d’Abdul-Hamid un portrait qui demande de longs développemens. Je me contenterai de dire pour le moment que le nouveau sultan n’a qu’un point commun avec son prédécesseur. Bien que doué d’une intelligence générale assez ferme et d’un esprit assez sagace, il est également poursuivi par de continuelles terreurs personnelles : c’est sa manière de payer tribut à la folie endémique qui règne dans la famille d’Othman et qu’aucun de ses membres n’évite tout à fait. Mais n’ayant aucune douceur dans le caractère et n’étant susceptible d’aucune timidité, il n’est pas homme à attendre, comme