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peu près dans ces termes : « Vous avez devant vous deux groupes de candidats : les opportunistes et les intransigeans. Les opportunistes vous font des promesses qu’ils ne veulent pas tenir ; ne votez pas pour eux ! Votez pour nous ! Votez pour nous, même si notre programme vous effraie, car nos promesses, nous autres, nous ne pourrons pas les tenir. » À l’entendre ainsi, M. de La Rounat ne serait ni opportuniste ni intransigeant, mais simplement honnête homme ; si belles que fussent ses promesses, il faut croire qu’il voulait et pouvait les tenir, — car il les tient. Avant de renouer la série des représentations classiques, M. de La Rounat a rouvert la saison par deux pièces de jeunes auteurs : le Rival pour rire et le Voyage de noces ; puis il a repris, pour la donner de deux jours l’un, avec les Suites d’un bal masqué, — ce marivaudage empire, — la Belle Affaire, de M. Cadol, qui, sans dater de plus loin que d’une douzaine d’années, appartient justement à ce genre de comédie tempérée dont je recommandais tout à l’heure à mes contemporains les meilleurs modèles.

Le Rival pour rire est un badinage agréable, dû à un jeune comédien, M. Grenet-Dancourt. Le Voyage de noces a plus d’importance. Et d’abord ce n’est pas, comme vous pourriez le croire sur le titre, vous lecteurs français ou même étrangers, nés ou naturalisés malins, ce n’est pas l’histoire d’une lune de miel errant par les hôtelleries et dont les rayons épiés glissent par le trou des serrures. Non, non, c’est une pathétique et déplorable histoire, en quatre actes et en vers, que celle de Jean Desnoyers, le grand peintre français, courant les routes d’Italie avec sa jeune femme Hélène, et qui retrouve tout à coup son ancienne maîtresse et sa fille : Stefana, l’ancien modèle, et la petite Domenica. Pour n’être pas nouvelle, la situation n’en est pas moins embarrassante, et Jean Desnoyers doit s’estimer heureux que Stefana s’avise de se précipiter dans la mer en léguant son enfant à sa gentille rivale. Ajoutez que Mlle Tessandier représente cette malheureuse avec une vigueur de talent qui fait frissonner le public ; que la grâce de Mlle Suzanne Pic, qui débute dans le rôle d’Hélène, nous a tous attendris ; et que la voix grave de M. Chelles ne pouvait guère nous égayer.

Mais quittons cette question du titre : le Voyage de noces est un début honorable. M. Tiercelin connaît le manège du vers moderne ; il a cette période souple, élégante et sinueuse, qui se prête si heureusement à de jolis morceaux de bravoure ; il écrira, sans doute, d’un tout à fait bon style quand il se refusera certaines complaisances, certaines mollesses de langue ; quant au a métier » du théâtre, à ce fameux « métier, » s’il ne le possède pas encore, m’est avis du moins que telle scène pathétique de sa pièce, notamment du troisième acte, le désigne clairement comme capable de l’apprendre.

Tenez ! un bon morceau de « théâtre, » bien fraîchement, nettement, solidement « établi, » c’est la Belle Affaire, de M. Cadol. Comparez,