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au prix du plus dur labeur, de la plus stricte économie, souvent même des plus grandes privations. Néanmoins, elle ne manqua pas, quand l’hiver venait interrompre les travaux de la campagne, d’envoyer ses enfans à l’école la plus voisine. Le petit James y fut pris d’une ardeur insatiable pour la lecture. Ayant reçu en prix, encore tout enfant, un Nouveau-Testament, il le sut bientôt, tout entier, par cœur. Il y joignit, un peu plus tard, Robinson Crusoé, qu’il lut et relut avec acharnement, au point de pouvoir en réciter des chapitres entiers. Il dévora ainsi toute la petite bibliothèque de sa mère et du maître d’école. Ce qui lui plaisait surtout, c’était le récit des aventures maritimes et des guerres de l’émancipation. Il était très bon, mais, batailleur et robuste, il se fit la réputation d’un fighting boy. On voit apparaître, dès le début de la carrière de Garfield, le rôle essentiel que remplit l’école primaire dans la démocratie américaine. Elle est la véritable racine des institutions républicaines. Elle exerce une action civilisatrice bien plus grande que l’école populaire d’Europe, parce qu’elle reçoit les enfans mieux préparés par l’éducation domestique. Chez nous, l’écolier de la campagne apprend à lire, mais quand il le sait, il ne lit pas et il oublie tout; aux États-Unis, il apprend pour lire le plus qu’il peut, parce que, autour de lui, il voit tout le monde en faire autant et que partout il a des livres sous la main.

A l’âge de seize ans, le jeune James veut gagner son pain et il se fait bûcheron, comme l’avait été Lincoln, noble métier, puisque c’est celui que choisirait aussi M. Gladstone. Mais de la forêt où il travaille, il voit passer les voiles des bateaux naviguant sur le lac Érié. Les belles histoires de voyages sur mer lui reviennent à l’esprit. Il est décidé à se faire matelot. Il descend au bord du lac pour s’engager. Les hommes d’équipage du bâtiment auquel il s’adresse se querellaient. Effrayé de leur brutalité, il recule, et se contente d’entrer au service d’un cousin pour conduire les chevaux qui traînent une barque sur le canal. Le désenchantement était cruel. Il est pris de découragement. La fièvre s’y joint. Il revient chez sa mère, atteint d’une maladie grave qui le met en danger. Pendant sa convalescence, le maître d’école, qui aide à le soigner, lui parle des facilités que lui donnent ses lectures et son heureuse mémoire pour entrer dans l’enseignement. Ce projet lui sourit, et il se rend à Geauga afin d’y suivre les cours de l’école normale. Pour toute ressource il a 17 dollars ; mais pour vivre il travaillera de ses mains. Avec une ardeur que rien ne rebute, il apprend les langues anciennes, les mathématiques, l’histoire; il lit tous les livres de la bibliothèque, et bientôt il est le premier dans toutes les branches. En même