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murs de quelque intérieur populaire. Il est rare de ne pas trouver dans ces intérieurs un crucifix, un bénitier, un tableau de première communion : ce sont les souvenirs d’autrefois, la femme n’a pas voulu qu’on les jetât. A côté, est accrochée une gravure enluminée qui représente un curé attablé ou un moine en état d’ivresse ; c’est la profession de foi du mari. Dans vingt ans, aux murailles de l’intérieur du fils ou de la fille la gravure sera encore suspendue, mais il n’y aura peint-être plus de crucifix, et il y a-des gens qui s’en réjouissent!

Cette haine ou cette indifférence hostile ne s’en prennent-elles qu’à l’église catholique, ou s’adressent-elles au fond même de la doctrine chrétienne? M. Corbon qui, dans son livre sur le Secret du peuple de Paris, a consacré plusieurs chapitres très intéressans à la religion du peuple, soutenait que non, il y a dix-huit ans. Tout en proclamant, au-delà même de ce qui est exact, que l’église catholique a perdu son influence sur les âmes, il affirmait que le peuple de Paris est spiritualiste, qu’il croit en Dieu et même « que son délaissement de l’église et sa préoccupation à peu près exclusive du salut commun sur terre n’ont pas le moins du monde altéré son sentiment chrétien. » M. Corbon écrirait-il encore ces lignes aujourd’hui? je ne le crois pas, car il n’a pas reproduit cette affirmation à la tribune du sénat dans son discours en faveur de l’enseignement laïque. S’il l’avait fait, son collègue M. Tolain n’aurait pas manqué de le démentir, et il aurait sans doute enveloppé Dieu dans la diatribe dirigée par lui contre la doctrine et même contre la charité chrétiennes. Il aurait eu raison dans son démenti, car j’ai vu naguère, pendant la période électorale, une réunion de six mille personnes se pâmer de rire à ce lazzi d’un orateur : « Que le bon Dieu avait fini par trouver une majorité de six voix dans le sénat. » Cependant une portion peu nombreuse (en France du moins) mais très respectable de l’église chrétienne, croit comme croyait autrefois M. Corbon, à ce christianisme latent de la population parisienne et, très légitimement, elle s’efforce de transformer ces sentimens confus en une adhésion expresse à sa doctrine. Depuis les événemens de la guerre, la propagande protestante est très active à Paris et multiplie ses conférences religieuses. Ces conférences ont commencé au lendemain de nos malheurs, sous les auspices d’un citoyen anglais auquel on doit savoir d’autant plus gré de sa sollicitude pour notre pays que son zèle apostolique aurait trouvé large matière à s’exercer dans les quartiers pauvres de Londres. Son activité a multiplié dans Paris les centres de réunions religieuses auxquelles on s’efforce non sans succès d’attirer les ouvriers. J’ai assisté parfois à ces réunions et deux choses m’ont frappé : l’attention respectueuse de l’auditoire et sa complète indifférence. On dirait de l’eau coulant sur du marbre. Je me souviens