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après la fiction, trouvera-t-on encore quelque intérêt dans la froide réalité.


III.

Souvent, en France, nous prenons pour une idée nouvelle ce qui est tout simplement une idée renouvelée. Sans parler de l’ancien droit d’asile dans les églises, dont à vrai dire profitaient surtout les criminels, il existait à Paris un couvent de l’ordre hospitalier de Saint-Mathurin sur le portail duquel étaient gravés ces vers :

Faites, pour Dieu ! bonnes personnes,
A cet hôpital vos aumônes
D’argent, de lits, de couvertures,
Pour héberger les créatures
Qui viennent hôpital quérir,
En aidant à les soutenir.
Ils prieront Dieu que soyez mis
Dans le ciel avec vos amis.


Ce couvent hébergeait non-seulement des malades, mais des malheureux. Il en était de même de la basilique de Saint-Julien-le-Pauvre, devenue depuis la chapelle de l’Hôtel-Dieu. Mais il est certain que la tradition de ces œuvres charitables était perdue à Paris; plusieurs villes de France et de l’étranger, entre autres Marseille et Genève (sans parler encore de Londres ), avaient depuis un temps plus ou moins long leurs asiles pour les malheureux que, dans notre grande capitale, la porte d’aucun établissement charitable ne s’ouvrait aux individus jetés dans la rue par quelque misère inopinée. L’honneur d’avoir pris une initiative qui ne devait point demeurer stérile revient à un petit groupe d’hommes réunis dans la même œuvre par la communauté de leur foi. Ils ne s’arrêtèrent ni devant les objections qui leur étaient faites ni devant les craintes qu’on s’efforçait de leur faire éprouver, et ils ouvrirent bravement leur premier asile rue de Tocqueville, n° 9, dans l’arrondissement des Batignolles, le 2 juin 1878. Moins d’un an après, ils en inauguraient un second au n° 14 du boulevard de Vaugirard. L’expérience a donné raison aux hardis fondateurs ; depuis trois ans que l’œuvre fonctionne, elle a fait tout le bien que l’on en pouvait espérer, sans donner lieu à aucun des inconvéniens qu’on pouvait craindre. Sans doute parmi les 48,141 pensionnaires que l’œuvre a recueillis depuis le jour de sa fondation jusqu’au 1er ’ janvier 1881, il a pu se glisser quelques paresseux incorrigibles, quelques voleurs, un certain nombre de repris de justice, voire même un assassin, qui a été arrêté quelques jours après. Où est le mal? Ils auraient toujours couché