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faut y habituer notre esprit, et, loin de considérer notre monde comme étant très vaste, le considérer comme un étroit assemblage de petites sphères serrées les unes contre les autres; la terre touchant au soleil, n’étant séparée de la lune que par trente fois son diamètre, ce qui donne à l’humanité l’espoir de franchir un jour ce détroit resserré. Cette petitesse relative de notre système, ce voisinage des pièces qui le constituent, en font comme un royaume isolé dans le monde stellaire, comme un îlot perdu dans un immense océan, sans voisins, sans relations d’aucune sorte avec ce qui est au-delà, vivant de sa vie indépendante sous des lois particulières. La grande curiosité des hommes, leur grand effort a été de connaître ces lois. Tous y ont travaillé, depuis les pasteurs de la Chaldée jusqu’à nos jours : c’est Kepler qui en a résumé et complété l’étude.

Jean Kepler naquit, en 1571, dans le royaume de Wurtemberg. Pour la première fois depuis l’origine de l’astronomie, il répudia l’esprit de système qui avait tant égaré cette science pour se résigner à des mesures exactes qui devaient la sauver. Jour par jour, pendant dix-huit années, il mesura les situations apparentes des planètes pour en déduire leurs mouvemens réels dans l’espace, mouvemens qu’il résuma en trois lois célèbres fixant la forme des parcours, la variation des vitesses et la durée des révolutions[1]. Cet immense travail est donc un résultat de mesures; on n’y trouve aucune conception de l’esprit; c’est un résumé, un enregistrement des faits observés où l’objection n’a point de prise parce que l’imagination n’y a pas de place. Ce fut la base assurée de l’astronomie ; mais elle demeurait incomplète, parce qu’en formulant les faits tels qu’on les voit se produire, elle reste muette sur la cause qui les détermine. Kepler est resté au milieu du chemin; jamais homme ne s’arrêta plus malheureusement et n’approcha davantage d’une grande découverte sans la faire. Ce n’est pas lui qui acheva le travail commencé, ce fut Newton, et Newton le fit d’un mot : « Le soleil attire les planètes en raison directe des masses et inverse du carré des distances. » Les lois de Kepler et tout le mécanisme du monde découlent logiquement de ce simple énoncé. Il est évident, en effet, qu’un astre qui passe à portée du soleil sera infléchi dans sa route d’autant plus que sa vitesse sera plus faible à même distance, ou la distance plus grande en lui supposant toujours la même vitesse; s’il passe très loin du soleil, il s’écartera peu de sa route et décrira une hyperbole ; il sera dévié davantage et parcourra une

  1. Voici l’énoncé de ces lois : 1° les planètes décrivent des ellipses dont le soleil est un des foyers ; 2° les aires décrites par les rayons vecteurs sont proportionnelles aux temps; 3° les carrés des temps des révolutions sont proportionnels aux cubes des grands axes.