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observation faire reposer la certitude. La fuite de l’or fait naître une force qui le retient et tend k le ramener, mais la puissance de cette force n’est pas irrésistible.

Le bimétallisme de la France est un régulateur puissant du rapport entre les prix des deux métaux. Pendant soixante-dix ans, il a fait ses preuves, mais les circonstances peuvent le briser.

Supposons, pour le démontrer en toute rigueur, que l’Allemagne, en 1873, au lieu de faire fondre des thalers d’argent, ait adopté le bimétallisme, en substituant au rapport 15 1/2, entre la valeur de l’or et celle de l’argent, un rapport plus élevé, 16, par exemple.

S’il était vrai que la loi française puisse avec certitude imposer le rapport 15 1/2 sur le marché monétaire, la loi allemande, par la même raison, imposerait le rapport 16; ces deux rapports ne peuvent exister ensemble ; la démonstration pourrait s’arrêter là. Qu’arriverait-il cependant ;si les deux nations, conservant les rapports différens 15 ½ et 16, s’obstinaient l’une et l’autre à maintenir la frappe libre? L’or français, de lui-même, s’écoulerait vers l’Allemagne, et les thalers allemands viendraient à Paris se faire transformer en pièces de 5 francs. Un spéculateur, en effet, qui porterait à la Monnaie de Berlin 1,000 kilogrammes de pièces d’or françaises pour faire frapper un poids égal de marks pourrait échanger ces marks contre 16,000 kilogrammes de thalers d’argent qui, rapportés à Paris et transformés en pièces de 5 francs, assureraient pour l’opération 100,000 francs de bénéfices. Ce trafic rapide et facile pourrait être renouvelé et le serait sans aucun risque tant que la France aurait des louis d’or et l’Allemagne des thalers.

L’échange des métaux sur les marchés étrangers deviendrait, pendant ce temps, difficile. Si le possesseur d’un kilogramme d’or à Londres voulait l’échanger contre de l’argent, il en exigerait 16 kilogrammes, car en cas de refus, il pourrait l’envoyer à Berlin, l’y faire transformer en marks, immédiatement échangeables contre 16 kilogrammes d’argent monnayé en thalers. L’acheteur, d’un autre côté, ne pourrait accorder plus de 15 kilogrammes 1/2 d’argent qui, envoyés par lui à Paris et transformés en monnaie française, y vaudraient 1 kilogramme d’or. Ne pouvant s’entendre, ils enverraient l’un son or à Berlin, l’autre son argent à Paris, hâtant tous deux le jour où les deux nations, n’étant plus bimétallistes que de nom et cessant de régler le marché monétaire, laisseraient le rapport des prix de l’or et de l’argent aussi variable que ceux du cuivre et de l’étain.

Si toutes les grandes nations adoptaient le bimétallisme, en fixant entre les prix des deux métaux le même rapport 15 1/2, la même crainte pourrait naître dans le cas où l’Angleterre, la France, l’Allemagne, les États-Unis, la Belgique, la Hollande, la Suède, l’Italie,