Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 47.djvu/544

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sa lettre du 19 janvier au ministre d’état. Mais on était surtout anxieux de connaître sa pensée sur les événemens qui venaient de s’accomplir au dehors, sur le rôle que la France y avait rempli, et sur les changemens qui en seraient la conséquence. L’empereur appuya de l’autorité de sa parole, aussi bien que des vues prophétiques du captif de Sainte-Hélène, les conclusions de la circulaire La Valette, qui consacrait la théorie des grandes agglomérations. Il constata la fin de l’expédition du Mexique, le concert des puissances en Orient, les garanties données au pape, et les bons rapports existant entre la France et les autres états de l’Europe.

« Rien dans les circonstances présentes, disait-il, ne saurait éveiller nos inquiétudes, et j’ai la ferme confiance que la paix ne sera pas troublée. »

Mais, encore froissé du soin prémédité que le roi Guillaume avait mis, lors de l’ouverture des chambres prussiennes, à passer sous silence sa neutralité et sa médiation, il rappelait, dans un fier langage, qu’il avait suffi de sa parole pour arrêter l’armée victorieuse de la Prusse aux portes de Vienne. La phrase, qui sonnait comme un défi, fut acclamée par les chambres. Elle reflétait les passions qui couvaient au fond des cœurs ; mais elle eut à Berlin le plus fâcheux retentissement. Elle y réveillait d’amers souvenirs ; elle rappelait au roi qu’on lui avait disputé le prix de ses victoires, qu’on lui avait arraché la Saxe, et qu’en lui imposant la ligne du Mein, on avait tracé des limites à son ambition. Pour une satisfaction passagère d’amour-pro}>re, l’empereur compromettait l’action de sa diplomatie ; elle devait en éprouver le contre-coup aussitôt. Le lendemain, au bal de la cour, le roi ne s’exprimait avec notre ambassadeur, au sujet du discours, qu’avec une extrême réserve, sur un ton qui contrastait avec son affabilité habituelle. Il se déclara satisfait de la manière dont l’empereur envisageait l’état de l’Europe, mais il évita de parler de sa personne, et ne fit aucune allusion aux rapports des deux pays. — Le silence est pour les rois, aussi bien que pour les peuples, le moyen de marquer leur déplaisir. — M. Benedetti se replia sur M. de Bismarck : « Le discours est pacifique, conciliant et libéral, lui dit le ministre, et je remarque que l’empereur rappelle que la France nous a arrêtés aux portes de Vienne. Je constate l’exactitude de l’assertion, et je comprends qu’il ait mentionné le fait dans son discours. » Il n’en dit pas davantage, laissant à ses journaux le soin de compléter sa pensée et de commenter le silence du roi. « Suivant son habitude, l’empereur s’est plu, disaient-ils, à faire à la France de savantes leçons sur la nouvelle application du principe des nationalités en Allemagne et à rappeler son intervention à Nikolsbourg. Reste à savoir