Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 47.djvu/533

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ni de malhonnête, mais elle avait en politique un tort plus grave : elle était périlleuse. M. de Moustier le sentait si bien qu’il disait à M. Benedetti : « Certainement, le comte de Bismarck a le droit de repousser notre alliance, même après nous avoir offert la sienne, et de garder le Luxembourg après nous l’avoir promis. Mais faille tout cela sans nous en donner aucun motif, sans colorer en aucune façon un procédé qui tout au moins doit nous surprendre, c’est une chose vraiment étrange et qui déconcerte toutes les habitudes comme tous les calculs diplomatiques. Si, au contraire, il a toujours envie de faire honneur à ses engagemens précédens, sa conduite est bien plus inexcusable encore. Quoi qu’il en soit, nous devons, comme je l’ai dit, répondre prochainement aux légitimes préoccupations du pays et des grands corps de l’état. Il y a là un fait qui s’impose tellement qu’il rend presque nécessaire la démarche que l’empereur désire que vous fassiez sans retard près du gouvernement du roi Guillaume. Le comte de Goltz a dû déjà la faire pressentir à sa cour, et vos explications sauront lui maintenir son véritable caractère et sa véritable origine que je viens d’indiquer. »

M. de Moustier ajoutait à ces considérations générales des argumens spéciaux ; il s’arrêtait à des combinaisons nouvelles pour faciliter au cabinet de Berlin les concessions qu’on lui demandait ; il s’expliquait sans détour et sans céder aux arrière-pensées de tant de ministres qui, en prévision d’un échec, se ménagent les moyens de désavouer ceux qui les servent. M. Benedetti savait cette fois à quoi s’en tenir ; il n’était plus comme à Nikolsbourg livré à ses propres inspirations. Il manquait toutefois à M. de Moustier, lorsqu’il rédigeait ses instructions, comme à l’ambassadeur qui devait les interpréter, une chose essentielle : la foi dans le succès. L’un et l’autre sentaient qu’ils s’engageaient sur un terrain scabreux. Mais ils étaient dominés par une volonté supérieure, celle de l’empereur, qui, lui-même, croyait céder à la pression de l’opinion publique, tandis que le destin lui faisait expier les fautes de son imprévoyance.

M. de Bismarck pouvait attendre de pied ferme les interpellations de l’ambassadeur de France. Il se trouvait dans une situation défensive à tous égards excellente. Il pouvait, sans renier les avances qu’il nous avait faites et les engagemens que personnellement il avait pris, se couvrir des scrupules du roi et des objections stratégiques que faisait valoir l’état-major général contre l’abandon d’une place telle que Luxembourg. Il avait tout l’avantage du terrain dans la lutte diplomatique qui allait s’ouvrir. Tandis que le roi Guillaume restait dans l’ombre pour n’apparaître que comme argument suprême, l’empereur était à découvert. L’un pouvait à son gré ratifier ou