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Il était évident que loin d’avancer on avait reculé. M. Benedetti voulut en avoir le cœur net, il insista sur la nécessité de prendre une résolution. M. de Bismarck lui promit de ne rien négliger pour se mettre promptement en mesure de lui répondre. « Mais je m’attends, écrivait M, Benedetti à M. de Moustier, à des lenteurs calculées, contre lesquelles je réclamerai votre concours. J’irai avec prudence, mais vous penserez comme moi qu’il est nécessaire de pénétrer sans plus de retards les véritables intentions de la cour de Berlin, et que, si nous ne devons rien brusquer, nous ne saurions non plus continuer des pourparlers destinés à rester sans résultat. »

C’était un fâcheux début. Ce n’est pas ainsi que procèdent les gouvernemens qui poursuivent une alliance commandée par les intérêts de leur politique. Tout dans leur attitude, leur empressement, la cordialité de leurs explications, témoigne du prix qu’ils y attachent. On tient les fers au feu ; on ne fait pas le mort pendant trois mois, c’est à Paris qu’on expédie le général de Manteuffel et non pas à Pétersbourg, et quand l’alliance à laquelle on travaille ne peut avoir qu’un but, la paix, on ne procède pas à des arméniens qui préparent la guerre. L’attitude équivoque du premier ministre devait donner à penser au gouvernement impérial. Il était temps encore pour lui de revenir sur ses pas et de s’en tenir à la politique expectante. C’était l’avis de M. Benedetti et c’était le sentiment de M. de Moustier. Il est des préfaces qui disposent mal en faveur d’un livre. Mais l’empereur était sous le charme de M. de Goltz, il croyait à son dévoûment et à sa sincérité ; il s’exagérait son influence à Berlin, comme il s’exagérait celle de M. Nigra à Florence. Or M. de Goltz affirmait que rien n’était compromis, qu’il suffirait de tempérer le zèle de M. Benedetti, qui, au lieu de laisser au président du conseil le temps de se retourner et de préparer le roi, le poussait l’épée dans les reins.

L’axe de la politique européenne était violemment déplacé depuis la bataille de Sadowa ; s’il ne passait pas encore à Berlin, il ne passait plus par Paris. L’empereur se refusait à le reconnaître, il persistait à croire que l’alliance française s’imposait à la Prusse victorieuse et résolue désormais à ne chercher son point d’appui que dans le sentiment national. Il ne se doutait pas que, grisée par ses succès, pleine de confiance dans ses hommes de guerre et dans son armement, elle entendait se passer du bon vouloir de son voisin et exploiter à son profit des ressentimens qui n’étaient plus un danger pour elle. Il poussait la méconnaissance de la politique prussienne jusqu’à lui demander d’adhérer à un projet de convention qui nous eût permis de nous dégager des difficultés italiennes, en substituant aux garanties que la convention du 15 septembre assurait au gouvernement