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tend à les accroître, et le profit qui en résulterait serait un impôt détestable.

La situation est périlleuse; à qui faut-il en imputer la faute? Tout allait bien, disent les bimétallistes; le rapport des valeurs entre l’or et l’argent était depuis un siècle invariable ; la convenance, les frais de transport, l’abondance ou la rareté de la production procuraient dans un sens ou dans l’autre de très légères oscillations; les événemens les plus divers, comme pour nous rassurer sur l’avenir, s’étaient succédé dans l’histoire monétaire : le rapport décrété par la loi française avait résisté aux guerres du premier empire, au blocus continental, à l’adoption de l’or comme seule monnaie anglaise, à l’abondance inouïe de la production en Californie et en Australie : comment craindre une baisse importante sur la valeur de l’un ou l’autre métal, lorsqu’on pouvait, sans limite, les transformer tous deux en monnaie, et la monnaie en billets de banque échangeables à volonté contre de l’argent ou de l’or? La France, pendant soixante-dix ans, en tenant la balance égale, a prêté son empreinte aux deux métaux et maintenu leurs prix au grand avantage du monde entier.

Que nous en a-t-il coûté? La certitude d’appeler et de conserver pour notre usage la monnaie la moins commode quand elles se valent, la moins appréciée quand une baisse survient. La monnaie d’or, avant 1848, était chez nous une marchandise; on l’achetait chez les changeurs, et le prix, quoique peu élevé, suffisait pour la chasser de la circulation. On payait en argent, et quand la somme était considérable, il fallait une voiture pour la transporter et des heures pour la compter. La découverte de nouveaux et riches gisemens d’or donna l’alarme aux économistes; on leur aurait causé un grand étonnement, il y a trente ans, si on leur avait prédit que le représentant d’une grande puissance pourrait, en 1881, s’écrier dans une conférence monétaire : « Nier la pénurie de l’or, c’est presque nier l’évidence! » Que serait-ce donc si la production, depuis 1850 et aujourd’hui encore, n’avait pas été décuple environ de ce que le passé semblait promettre? La masse de l’or serait quatre fois moindre! Personne cependant ne songerait peut-être à se plaindre; les habitudes et les prix seraient autres; on paierait en monnaie d’argent, la trouvant abondante ou rare, non d’après la masse en circulation, mais en raison de l’accroissement ou de la diminution plus ou moins rapide et surtout plus ou moins récente.

Les esprits craintifs, les savans prévoyans, disait-on, voulaient, en 1850, proscrire la monnaie d’or, dont ils redoutaient l’abondance. Les Hollandais avaient pris les devans et ne frappaient plus que des pièces d’argent; la France laissa les choses suivre leur cours et s’en trouva bien. La frappe illimitée de l’or équivalait à une