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Mais le bonnet qu’aurait choisi Caton,
C’est à coup sûr, n’en doutez pas, mon maître,
Le bonnet de coton (bis) .


Il excellait aux parodies et il avait fait en mon honneur une imitation de l’Ode sur la prise de Namur si parfaitement ennuyeuse qu’il nous fut impossible d’en écouter la lecture jusqu’au bout.

A l’heure où je le rencontrais à Croisset et où il venait d’entrer dans la gravitation de Flaubert pour n’en jamais sortir, il composait beaucoup de pièces de vers exquises et qui ont été presque toutes publiées dans son volume : Festons et Astragales, dont le titre, intentionnellement choisi par lui, prouve qu’il n’a voulu faire que de l’ornementation. Que de fois j’ai vu Flaubert, vêtu de son peignoir blanc, agiter les bras au-dessus de sa tête, se camper au milieu de son cabinet et crier :

Savez-vous pas, loin de la froide terre,
Là-haut, là-haut dans les plis du ciel bleu,
Un astre d’or, un monde solitaire,
Roulant en paix sous le souffle de Dieu?
Oh ! je voudrais une planète blonde.
Des cieux nouveaux, d’étranges régions.
Où l’on entend, ainsi qu’un vent sur l’onde,
Glisser, la nuit, sous la voûte profonde,
Le char brillant des constellations !


Dès que Bouilhet avait fait une nouvelle pièce de vers, il nous l’apportait ; Flaubert la hurlait, et nous l’admirions. Nous étions sincères, mais nous vivions tellement les uns près des autres, les uns pour les autres, que le monde extérieur nous échappait. A force de nous confiner dans notre solitude, d’échanger des idées semblables, d’être soustraits à toute critique, nous en arrivions à perdre la proportion des choses et à nous reconnaître un talent que nous étions loin d’avoir. Gustave nous répétait : « Il faudra débuter par un coup de tonnerre! » Soit; mais où était la foudre?

Tout notre temps n’était cependant pas employé à nous casser l’encensoir sur le visage, et parfois nous partions en tournées archéologiques aux environs de Rouen. Nous passions quelques jours à visiter Saint-George-de-Boscherville, Saint-Vandrille, Jumièges et certains paysages qui sont très beaux dans les environs de la Bouille. C’est dans une de ces excursions que Flaubert, en regardant les vitraux de l’église de Caudebec, conçut l’idée de son conte de Saint-Julien l’Hospitalier, de même qu’au milieu des ruines de Jumièges, il annonça l’intention d’écrire l’histoire des énervés; ce ne fut qu’un projet, mais qui lui tint au cœur, car il m’en par la pendant l’année qui précéda sa mort. A Croisset, les journées n’étaient pas seulement